Le 1er juillet 2005, très belle rencontre qui m’a beaucoup impressionnée avec le poète Alain Marc qui avait eu la gentillesse de me proposer de m’apporter son très récent recueil poétique Regards hallucinés dont des extraits alors encore inédits étaient parus il y a peu dans l’anthologie permanente de Poezibao.
Notre entretien a beaucoup tourné autour de la signification à donner à ce mot "halluciné". Puisque les Regards hallucinés sont de brefs fragments poétiques, des éclairs, des éclats de poésie. Venus d’où, telle est la question que j’ai posée à Alain Marc pour tenter d’en comprendre la genèse. En fait, il semblerait que derrière ce mot se cache pour le poète une expérience : entre le monde et lui, il y a en quasi permanence un voile. Or, en de très brefs instants, très courtes visions, ce voile disparaît. Et c’est presque toujours via un mot, quelquefois un "instantané" prélevé dans la masse protéiforme du réel que s’effectue cette percée. Il y a un état réceptif et un éclair grâce auquel « le sens se met à passer ». Lorsque je demande à Alain Marc si cette "hallucination" lui permet d’effacer, lever les barrières logiques, il agrée cette façon de voir les choses. C’est en tout cas semble-t-il ce qui se passe dans la première phase du travail poétique, la collecte et il me raconte en s’en amusant que m’attendant quelques instants sur notre lieu de rendez-vous il a soudain "vu" sur un immeuble ancien une petite plaque "eau et gaz à tous les étages". Ce ne sera sans doute pas l’embryon d’un nouveau Regard halluciné mais cela a tout à fait à voir avec ce qu’il dit de l’élaboration première du poème en lui, élaboration qui va se faire ensuite et aussi beaucoup à partir des mots : il s’éprend, quasi amoureusement, d’un mot et se met à le creuser, le triturer, l’accoler à d’autres mots. Le mot est comme introjecté, confronté par le son (allitérations, associations, frottements) à d’autres mots, avec une recherche de l’effet le plus fort en une sorte de hasard contrôlé, en assumant le non-sens qui peut « générer beaucoup de sens ». Mais il tient à souligner que contrairement à ce que certains ont cru, cette démarche n’a rien à voir avec le surréalisme. D’un mot, d’une association de mots (je lui propose la si belle remarque de Gabrielle Althen dans un article de la revue Europe (n° 851) disant qu’elle « cherchait à faire jaillir comme entre deux silex, une étincelle chaque fois [qu’elle] plaçait deux mots côte à côte », va naître un univers lié à des sensations, sensuelles, voire sexuelles. Et dans cette captation subliminale, le saugrenu et l’humour font parfois irruption et sont bien entendu acceptés par le poète.
Les Regards hallucinés, remarqués par Bernard Noël dès une première série parue en plaquette en 1993 (et reprise ici augmentée de nombreux nouveaux regards et d’une importante série de notes écrits dans cet intervalle de dix ans) n’est pas le seul travail, la seule veine d’Alain Marc. Il écrit aussi une poésie narrative, poésie du réel qui se confronte au monde tel qu’il est, au chômage, au licenciement, etc. Et Alain Marc est également essayiste et a écrit un essai remarqué Écrire le cri, autour de Sade, Bataille, Jouve, Joyce Mansour, Venaille, Bernard Noël, Guyotat et de nombreux autres écrivains. Il travaille aussi à un grand opus poétique, qu’il décrit comme une poésie narrative en un parcours métaphysique articulé sur une quinzaine de thèmes tels la folie, la solitude, le sexe, l’art en tant que combat, la religion. Presque entièrement élaborés dans les années 90, ces textes sont tous repris actuellement et devraient paraître au fil des ans en autant de recueils.
©florence trocmé
voir la fiche bio-bibliographique d’Alain Marc où on trouvera notamment le lien vers son site personnel extrêmement riche
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