"Tes yeux de laine et de limons épandent des bruits
d’eaux prénatales. S’ils s’ouvrent au monde, une lumière bleue météore les
blesse. "
Béatrice Douvre
Poezibao a déjà
rendu plusieurs fois compte de l’œuvre de Béatrice Douvre, jeune poète
prématurément décédée, des suites d’une anorexie, en 1994*
Ce vendredi 23 septembre, à l’initiative de La revue Linea et de Pierre Maubé, une lecture-rencontre autour de Béatrice Douvre réunissait Gabrielle Althen, Olivier Kachler et Pierre Maubé.
C’est à Gabrielle Althen qu’est revenue la tâche d’évoquer
la figure de Béatrice Douvre, Gabrielle Althen qui a bien connu Béatrice qui
fut son étudiante à Nanterre, en séminaire de maîtrise puis de DEA, avant que
la jeune poète entreprenne une thèse sur Pierre Jean Jouve qu’elle ne put
malheureusement achever. Gabrielle Althen parle avec émotion de ce séminaire de
maîtrise où elle avait (intentionnellement !) choisi des textes difficiles
ce qui lui valut une assistance assez clairsemée mais en revanche très
concernée de telle sorte qu’elle garde un souvenir brûlant de ce groupe et de
ce séminaire.
De Béatrice, elle ne dresse pas à proprement parler un
portrait mais évoque sa très haute exigence « elle voulait beaucoup, le
possible et l’impossible », imposant une relation parfois très troublante.
De sa poésie, il est, dit-elle, difficile de parler. Mais
elle fait remarquer qu’elle « brûle de deux feux », d’une part un
côté évanescent, transparent, d’autre part une grande force. Que le texte
semble pris en tenaille entre ces deux pôles ce qui donne quelque chose de très
tendu à ses poèmes. Elle emploie le terme de « suavité » exprimant
immédiatement l’idée que « les œuvres d’art supportent mal de tenir en
équilibre sur la suavité », que l’écriture « ne tient pas sur cette pointe-là ». Et pourtant, il y
a chez Béatrice Douvre, une esthétique de l’insaisissable, de l’effleurement,
du « toucher à peine », « dans le voisinage du jour ». Une
esthétique « du peu qui émeut beaucoup parce qu’il tient à l’essentiel »,
allant jusqu’à une esthétique de la fadeur, dans le sens de ce qui se dérobe.
La neige est un thème très important comme ce qui est là mais dans une
disparition annoncée. « A peine dit, c’est fini et c’est cela qui
navre ». Les propositions de ces poèmes sont nées pour s’effacer. C’est
une poétique du procès (dans le sens processus) de l’effacement. « C’est
quelqu’un qui congédie : elle dit les choses et les repousse ». Et il
y a toute une négation d’émotion entre ce qui est désiré et ce à quoi on
renonce. On peut ainsi analyser le thème des mains, en principe organe
préhensile, mais ici les mains ne prennent jamais, elles se
dessaisissent ; il y a toute une économie du désir qui dit une chose et
son contraire : « elle a le désir d’un échange "sous la lampe",
charnel ou non charnel, elle dit son désir d’échange et en même temps elle
l’écarte, le dissout ».
Très différente de ton, l’intervention d’Olivier Kachler se situe d’emblée dans une certaine distanciation par rapport à la personne Béatrice Douvre et à sa vie. Il va en fait développer à partir de cette opposition, toute une théorie, passionnante, de la poésie « entrer dans un poème, c’est renoncer à comprendre ». Pour lui le poème « dit de l’inconnu et dit dans l’inconnu » ; « une phrase poétique excède la signification des mots ». Béatrice Douvre fait les poèmes et elle est faite par les poèmes, « de Béatrice à Douvre, il y a le trajet d’un "je" personne à un "je" qui ne parle pas de, mais vers ou avec ». (Olivier Kachler a écrit dans la revue Linea n° 4 de l’été 2005 consacrée à la poète, un très passionnant article sur le choix du nom de Douvre, qui est un pseudonyme : « Douvre est une ouverture au péril »).
Les interventions de Gabrielle Althen et d’Olivier Kachler,
orchestrées par Pierre Maubé qui est aussi un excellent connaisseur de l’œuvre
de Béatrice Douvre ont été ponctuées de lectures de poèmes, extraits de la
revue Linea ou du recueil publié par Voix d’Encre qui rassemble l’ensemble de
l’œuvre poétique de Béatrice, ainsi que quelques dessins.
On retiendra pour finir la très belle expression de
Gabrielle Althen : les textes de Béatrice Douvre sont des textes qui
« tremblent »
©florence trocmé
Rappel bibliographique
Revue Linea,
dossier Béatrice Douvre, la passante du péril, avec des articles de Pierre
Maubé, Gabrielle Althen, Olivier Kachler et Jean-Yves Masson et une belle
sélection de poèmes. Numéro 4, été 2005,
Béatrice Douvre, œuvre
poétique, peintures et dessins, préface de Philippe Jaccottet, voix
d’Encre, 2000.
Sur Pierre
Maubé
Sur Gabrielle
Althen
Olivier Kachler est né en 1969 à Colmar. Il enseigne à Paris
X – Nanterre et achève une thèse de littérature comparée sur Le symbolisme en
Russie et en France. Il a publié des poèmes et des articles dans les revues
Arpa, Bleue, Orpheus, Phréatique, La polygraphe ainsi qu’une traduction de
Yordan Raditchkov (bulgare) dans Europe.
Bio-bibliographie
de Béatrice Douvre, extrait
1, extrait
2, extrait
3, extrait
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photo ©florence trocmé, de gauche à
droite Pierre Maubé, Gabrielle Althen, Olivier Kachler
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