Le poète
« who walked between the violet and the violet »*
Il est des livres, rares, dont on ne se déprend pas. On les a lus, refermés et pourtant on y revient sans cesse, comme s’ils vous appelaient, on les rouvre et on trouve.
Que trouve-t-on ? Sans doute cela que l’on cherche. Que cherche-t-on ? Sans doute cela qu’on y trouve…. : tâtonnement pour tenter d’exprimer ce qui est difficile à dire parce que sans doute très intime (« la poésie comme raid dans l’inarticulé », p. 124). On se sent en accord avec chaque mot ou presque de ce livre-là, sur une fréquence qui résonne en soi, comme on se sent chez soi dans chaque note de certains compositeurs (pour moi Schubert). Ce qui me fait dire de ces écrivains ou musiciens, qu’ils me sont frères ou sœurs.
En lisant Chambaz, et bien que cela n’ait à maints égards strictement rien à voir, j’éprouve ce que je ressens en lisant le cycle Le grand incendie de Londres de Jacques Roubaud. Je suis chez moi, ils sont moi et pourtant jamais je n’aurais su ou pu écrire ce qu’ils écrivent. Leur monde même m’est étranger. Leurs expériences ne sont pas les miennes. (Je note cependant au terme de cette comparaison que chez Chambaz comme chez Roubaud, il y a la permanence d’un deuil radicalement inconsolable). Mais ils me sont frères.
Ces considérations ne doivent pas empêcher une analyse plus littéraire de cet Été. Été en référence à l’été ou disparaît Martin, à 16 ans, dans un accident (Martin, cet été, Julliard 1994). Le livre propose les cinq cents premières séquences d’un travail qui en comportera mille. Cinq cents séquences écrites au fil des jours, tentatives de capter de qui fuit, ce qui a été, ce qui est là, l’absence comme la présence, souvent mêlées, tentative d’opérer une coupe profonde, quasi géologique, à la manière d’une carotte dans la glace, dans l’épaisseur d’un jour, d’un instant. Espace de mémoire, de création, de lectures, de souvenirs de lecture, de musique, mais aussi réflexion sur le nombre (terrible compte des jours depuis…, sur le vide, sur ce que c’est que de continuer à vivre en parvenant parfois à célébrer (les deux autres fils, les petits enfants, la femme, les fêtes, les voyages). La présence des grands poètes américains aussi, Zuk (Zukofsky), Olson, Cummings, William Carlos Williams, sa brouette rouge (red wheelbarrow) et son Paterson, là, amis aussi vivants que les amis réels, et les jazzmen et le clarinettiste Sylvain Kassap, bien réel celui-là.
« J’obéis à une intuition rigoureuse », « les séquences montent par bloc » : Été est aussi et avant tout un travail de poésie (je m’aperçois que je pourrais laisser imaginer le contraire, ou qu’il s’agit de carnets ou d’un journal). Sans ambiguïté un travail de poésie, d’écriture. Chaque séance, prise une par une, est un poème (j’en ai publié plusieurs déjà dans l’anthologie permanente de Poezibao, comme tels). Avec une recherche d’écriture, des angles différents et très variés.
Et la basse continue de la mort, de la finitude, qui confèrent à chaque page une présence tremblée bouleversante. Un très grand livre.
©florence trocmé
*T.S. Eliot
Bio-bibliographie
de Bernard Chambaz,
le
compte rendu d’une lecture de Bernard
Chambaz aux Parvis Poétiques de Marc Delouze
Autres extraits de l’œuvre de
Bernard Chambaz dans Poezibao :
Rédigé par : Jean-Marie. | mardi 18 octobre 2005 à 13h31