Aujourd’hui, montage de deux textes, en écho, le premier d’Andrée Chedid, le second de Claude Vigée.
Le fanal
Laquelle de nos nuits s’incline si bas
Qu’elle nous force à toucher cendres
Laquelle de nos nuits nous prend pour cible
Détisse ou rompt le jour
Comment retrouver l’aube
Et son métal dissous
Avec quoi reforger le fanal ?
De quel œil rivé sur l’horizon
Défier la carapace des ombres
De quel cri saluer l’éclair entrevu ?
Andrée Chedid, Textes pour un poème, 1949-1970, Flammarion, 1987, p. 222.
Il y a eu d’autres marches, vers un royaume inexploré. A l’énigme qui demeure à jamais sans solution : "Qu’est-ce que la poésie", un lieu a lui-même répondu sans hésiter : "Un feu de camp abandonné, qui fume longuement dans la nuit d’été sur la montagne déserte". Un soir je me suis perdu dans les collines dénudées du côté de Beth Gouvrine, sur la route de Lakhish qui mène vers Beer-Shéba et le Néguev. Un feu de cônes de pin et de bois d’olivier n’en finissait pas de mourir dans sa coque de pierre, et j’ai compris soudain que ce qui, en nous, est poésie, c’est cela même, une flamme qui brûle très doucement, en sourdine, entre le roc sombre et le ciel noir ; il y a eu là des hommes, un destin, des appétits, des moi dévorants qui se sont servis de ces êtres, le charbon, les pommes de pin, la pierre, le feu, l’espace, - mais tout cela a déjà passé, l’événement a pris son lieu, un temps est inscrit dans ce foyer où la braise continue à rougeoyer dans la nuit, dans la rocaille, - maintenant le feu brûle, il brûle pour personne, il n’y a plus là personne que le monde entier, parce que c’est le monde qui brûle pour soi, et la lumière se manifeste enfin pour rien, comme la conscience un instant pacifiée en nous. C’est cela qui est la poésie : quand on ne fait plus d’affaires, quand on ne cherche plus, qu’on ne veut plus pour soi, mais que, par l’esprit et par le regard qui s’abandonnent, uni à ces éléments pleins de force et de douceur, on se laisse distraire, oui, distraire dans la lumière du soir.
Claude Vigée, in La Lune d’hiver, Honoré Champion, 2002, p. 368 et 369 (première édition 1970), cité par Anne Mounic, in Anne Mounic, La poésie de Claude Vigée, Danse vers l’abîme et Connaissance par joui-dire, L’Harmattan, 2005, p. 16.
Andrée Chedid sur Poezibao :
Bio-bibliographie
de Andrée Chedid,
extrait
1, extrait
2, extrait
3,
Claude Vigée, lecture
Village Voice (05)
Je vais publier sous peu la fiche bio-bibliographique de
Claude Vigée.
Anne Mounic est maître de conférence à Paris 3 Sorbonne nouvelle. Elle a publié chez l’Harmattan son dernier roman AH ! Ce qui dans les choses fait AH ! et chez Encres Vives son dernier recueil de poèmes, Nuages, l’esprit. Elle vient de publier cet important essai sur la poésie de Claude Vigée dont Poezibao rendra compte au terme de sa lecture.
Pour Claude Vigée, cette photo prise en décembre 2004, en Alsace, au cœur d’un marché de Noël villageois.
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