Mer, vent, ciels, ce sont
les premiers mots, faciles, trop faciles, qui viennent sous la plume pour
rendre compte de cet Avis de passage déposé par Henri Droguet. D'eux - omniprésents, je vais en reparler- on
pourrait dire qu'ils sont le nuage qui masque l'infini du bleu du ciel, "l'abominable douceur/quelquefois du
bleu". Or je ne crois pas qu'ils soient métaphores. Ils sont là pour
eux-mêmes, seuls, magistralement appréhendés par une écriture virtuose à en
décrire les variantes & variations. Il se trouve aussi que je sais d'où le
poète envoie cet avis, je connais ce vent, ces ciels et cette mer, cet opéra
permanent que ces trois-là donnent sur cette côte dite d'émeraude. Je n'y suis
que plus sensible et ne perçois que mieux l'extraordinaire puissance descriptive
du poète. Ce don de dire le vent : Henri Droguet, le poète aux mots de vent ...
J'ai fait là la partie la
plus aisée de mon travail ! Facile cependant encore d'évoquer la beauté de
la langue et pour cela d'employer des mots de peintre, de parler de palette et de couleurs,
de nuances. D'attirer l'attention sur les mots rares, précieux (pas dans le sens de préciosité mais parce qu'ils
sont peu usités, oubliés et que si la poésie est comme dit Jacques Roubaud un
laboratoire de la langue à venir, elle est aussi un conservatoire). Aisé de
dire le plaisir à voir nommés un par un arbres et herbes, en lieu et place de
ces noms génériques que nous leur donnons par impuissance et inculture
botanique. Dans cette manière de faire, de dire, il y a perpétuellement un choc
de l'infini et du détail, révélateurs (au sens photographique) de la
"houleuse abondance des mondes". Sans oublier, oui, essentiel,
"le primesaut stupéfiant du plaisir".
Allant plus avant dans le
recueil, on découvre que Henri Droguet allie l'art du miniaturiste (tel
"tableau" représentant une taupe ou la corneille font penser à
certains dessins - le lapin, le scorpion- de Dürer) au souffle de l'épopée. Une
épopée dont les oiseaux, les nuages, la houle seraient les personnages, car ici
pas d'humains. Rien que les éléments, le paysage et le poète, qui se parle, se
prend à partie, se tourne en dérision (il y a un aspect terriblement grinçant
dans certains textes). La mort, la pourriture, la "sauvage
entropie", toile de fond, bruit de
fond de l'univers de Droguet.
Monde sonore que sa
poésie aussi. Il faut lire les poèmes à haute voix, les murmurer pour les
éprouver rocailleux, clouteux, goûteux. Les allitérations abondent, les
sonorités suivent au plus près le ressenti, le perçu. Certains renversements,
certaines tournures étonnent, tirent l'oreille interne, mais c'est toujours nécessaire, juste
comme "ta sursitaire
cendre"ou ce "m² d'urgent définitif nuage".
Tour de force car presque
toujours (il y a sans doute quelques textes légèrement en retrait dans le
recueil..), le texte tient. Il ne tombe pas à plat comme tant de poèmes
contemporains pris par cette folie descriptive à l'oeuvre dans de trop
nombreuses tentatives d'épuisement (de l'inépuisable). Le texte tient parce que
rien n'est gratuit, le vocabulaire rare, les tournures, les chocs sonores sont
là pour rendre compte, faire rendre gorge. De et à une certaine vision du monde
et de l'homme, une vision très contemporaine, une vision de désolation. Avec une tentative de chercher un peu de
plaisir, un soupçon de sens envers et contre tout dans la beauté du monde, par
contemplation participative sans illusions qui pourrait évoquer Jaccottet mais
en plus sombre. Ici on "fait son plein de vide irrémédiable" et l'on
se frotte à la "splendeur effrayante et confuse des choses/absolument vues".
©florence trocmé
Rédigé par : penloup | lundi 05 décembre 2005 à 09h29