Fusées : « Il
faut qu’il y ait du style »
La revue Fusées est d’abord un fort bel objet éditorial. Format
presque carré, 22, 7 x 21, 5 cm, 215 pages, bon poids, des reproductions
notamment de photos en noir et blanc de très belle qualité. Voilà pour le
contenant. Question contenu, littérature, arts, cinéma, gastronomie,
sports… annonce la couverture.
Une création de Mathias
Pérez qui après avoir beaucoup peint, fréquenté de nombreux écrivains, fondé en
1981 la maison d’édition Carte blanche, crée en 1997 la revue Fusées. Un Mathias Pérez qui découvre l’imprimerie dans
les années 80 et qui pour son premier livre imprimé, entièrement composé à la
main avait choisi, ce n’est sûrement pas anodin, L’Éléphant de mer de William Carlos Williams. Le titre de Fusées est un hommage à Baudelaire, mais ce n’est pas exclusivement
une revue de poésie, « c’est une revue d’art, une sorte de Minotaure des
années 2000 » qui s’oppose à « toutes les revues académiquement
sérieuses, aux revues du marché artistique comme aux revues de
poésie-qui-se-mord-la-queue…. ; il s’agit de faire connaître le travail
des écrivains, des peintres, des cinéastes et de toutes autres formes
d’expression qui sont peu visibles dans notre monde, et de se nourrir des
textes, des rencontres ; d’être au monde, d’être dans le monde ». Par
ailleurs, le pari relevé par Fusées était de créer une revue expérimentale avec de beaux matériaux :
couvertures très travaillées, format à l’italienne des plus singuliers, papier
couché mat seul à supporter la quadrichromie. « Il faut qu’il y ait du
style » poursuit Mathias Pérez dans un récent entretien avec Fabrice
Thumerel. Avec de la légèreté. « Il s’agit à chaque numéro de créer un
colelctif pour offrir à nos quelques centaines de lecteurs un kaléidoscope ou
une polyphonie de vues, d’impressions et de formes relatives à notre monde.
L’éphémère est notre lot, notre visée. La fulgurance aussi. Nos Fusées doivent traverser les cieux vides de nos vies
médiatisées comme autant d’éclairs »
Pari tenu par Fusées,
tout particulièrement avec le poète franco-américain. Peut-être que le sujet
est beau, Federman ! Mais toutes les propositions avancées par Mathias
Pérez et citées en extrait ci-dessus semblent tenues dans le numéro 9 de Fusées. Il y a là d’abord un époustouflant dossier sur
Federman, qui aurait bien pu être le parrain de Fusées ( mais Christian Prigent ou Jean-Pierre Verheggen
se sont chargés du boulot !). Vingt et un tableaux pour
Federman : commentaires,
interview, photos, poèmes de l’auteur, etc. avec des traductions et commentaires
de Christian Prigent qui analyse la manière étonnante de Federman, mélange de
« réel reconstruit, fiction goguenarde, volubilité hâbleuse et gouaille
parodiquement méta-poétique ». ; une extraordinaire correspondance
mail entre Henri Raczymov et Raymond Federman, occasion de signaler que ce dernier a un blog dont la visite
vaut le détour ; des traductions parfois déjantées de Pierre Le
Pillouër, un très émouvant texte de Simone, la fille de Federman sous le beau
titre de Mon père le fictionnaire,
etc. Le tout monté comme un film, avec des séquences, cela s’enchevêtre mais on
ne perd pas le fil, sur le plan de la maquette c’est très réussi, ça rebondit
sans cesse, on est entraîné dans le maelström souvent désopilant (mais sur fond
de quel tragédie !) de Federman, de ses idées, de ses facéties, de sa
capacité d’inventer, de son extraordinaire instinct vital dont sa vie est la
meilleure preuve (je renvoie
à l’article que j’ai écrit après ma lecture du dernier numéro de Le
Matricule des Anges pour l’essentiel de la vie de Federman). Il faudrait tout
citer mais on retiendra encore tout particulièrement deux pièces de choix, un
article de Nathalie Quintane et un autre d’Alain Frontier où je relève cette
notation féconde « la vérité ne peut venir qu’après l’écriture, pas
avant » : quant on sait quel sort Moinous (Moi-nous entre autres,
alias Raymond Federman) fait subir à la vérité, on en mesure toute la portée.
Mais il n’y en a pas que
pour Federman ! La section "Travaux en cours" de la revue présente un texte
très fort et très étonnant de Philippe Boutibonnes sur la fumée, décrit comme
un « exercice de poésie pratique et efficace », un texte qui donne le
vertige et qui est soutenu, épaulé par les peintures d’Alain Sicard. ;
puis une importante section "Afrique" avec d’extraordinaires photos de lutteurs
d’Ariane Lopez-huici ; et puis ce n’est pas fini, il y a encore un
entretien de Cécile Wajsbrot avec…Françoise Hardy et " les Partis-pris",
vraiment pris, comme une sacrément belle défense de Jean-Pierre Verheggen par
Christian Prigent.
Fusées 9, 27,50 €
Éditions Carte Blanche,
29 rue Gachet, 95340 Auvers-sur-Oise
01 34 48 01 61
Je recommande vivement la
visite du site de Fusées, où l’on peut trouver en autres, une video de Raymond Federman (lecture en
français de Moinous et Sucette).
www.fusees.org
©florence trocmé
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