Je voudrais dire ici tout
le bien que je pense de Le Matricule des Anges qui vient de publier un numéro exceptionnel dont
je vais rendre compte. Je ne peux que recommander à tous les amateurs de
littérature et de poésie de se procurer Le Matricule des anges, voire de s’y abonner, pour soutenir le travail
de cette équipe qui réussit, ce qui semble presque une gageure aujourd’hui, à
produire chaque mois un magazine d’une très haute exigence.
Le n° 68 de
novembre-décembre 2005 m’a particulièrement séduite en raison d’un dossier
Federman très complet et fouillé et d’un très bel entretien avec John Giorno,
deux américains donc, deux poètes (bien que ce ne soit pas le seul aspect de
leur œuvre multiforme).
C’est le directeur de la
publication Thierry Guichard qui a pris en main le dossier Federman annonçant
la couleur dès son édito : « sortie des camps de concentration, son œuvre est un immense chant
à la vie, mais une vie organique, sexuelle, excrémentielle même. Une vie où la
peur autrement plus profonde que celle qu’on nous inocule, pousse à aller de
l’avant » et de présenter l’œuvre comme « un bel antidote à la
colonisation des cerveaux ». J’insiste sur ce point, car il me semble que
cette position marque un peu toute l’orientation éditoriale de Le
Matricule des Anges. « La
littérature quand elle inocule à ses lecteurs quelque chose qui ressemble au
courage, au désordre, au désir. Bref, à la vie ».
Le dossier Federman
le survivant est constitué d’un
grand article de Thierry Guichard, suivi d’un entretien avec le poète. Est
retracée dans l’article la vie sidérante de cet homme marqué par un traumatisme
initial qui le mènera, relativement tard, à rédiger La voix dans le débarras : autour de ce qui est arrivé alors qu’il
avait 14 ans, à cet adolescent né en
1928 d’un père juif polonais, tuberculeux, peintre « avant de se faire
mettre en savonnette à l’âge de trente-sept ans ». Comprenez bien sûr que
ce père a été exterminé ainsi que la mère et les deux sœurs du jeune Raymond
que sa mère avait eu juste le temps de pousser dans un débarras au moment d’une
rafle (sur dénonciation) par la police française de toute la famille. Le 16
juillet 1942. L’enfant se terre quarante huit heures puis se sauve et décide de
gagner le Sud Ouest où il sait avoir un oncle et une tante. Il est embauché
dans une ferme (récit Retour au fumier). Un oncle d’Amérique se manifeste que Raymond part rejoindre. Suivent
toutes sortes d’aventure puisqu’au milieu de petits boulots pour survivre, il
trouve le moyen de faire des études de lettres, de jouer du saxod’écrire une
thèse sur Samuel Beckett dont il devient le grand spécialiste.
En 1966 il s’engage dans l’écriture de son
grand livre, « l’un des plus grands livres du vingtième siècle » Quitte ou
double. Pour cela il s’est
enfermé dans une chambre pendant 365 jours. Il prévoit tout pour ne pas en
sortir et décide de se nourrir exclusivement de nouilles. Chambre et
enfermement qui renvoient bien sûr et au débarras originaire et aux chambres à
gaz…
On commence à découvrir
en France cette œuvre et la revue Fusées, j’y reviendrai bientôt, vient elle
aussi de consacrer un gros dossier à Ferderman.
Deux livres sont à citer
particulièrement
Quitte ou double, Al Dante, 2004 et La Voix dans le débarrras, Impressions nouvelles, 2001.
Sous le titre La vie
mode d’emploi, Thierry Guichard
mène ensuite un très bel entretien avec Federman : « C’est le trou.
C’est l’absence qu’on a en soi. En anglais, on a le mot "womb" qui
signifie le ventre, le sein de la mère, dans l’expression porter un enfant en
son sein. Et puis il y a le mot "tomb" qui est la tombe. Je joue sur
ces deux sonorités, ces deux mots pour évoquer le débarras dans lequel ma mère
m’a caché : à la fois le ventre d’où je suis sorti et la tombe où je suis
entré. C’est un trou noir et je tourne autour ».
J’ai été aussi très
frappée dans ce numéro par un très bel article d’Emmanuel Laugier sur l’auteur
Jean-Michel Reynard, mort en novembre 2003 à l’âge de cinquante ans. Il décrit
son livre L’eau des fleurs comme un
livre de prose inclassable, où se mêlent le journal intellectuel, la
confession, l’autobiographie et enfin, l’endurance vivante d’une pensée en
acte : une somme ravageuse » (Lignes).
Poezibao enfin ne pouvait être que sensible au très grand article (trois grandes
pages, pour un poète !) consacrée à John Giorno dont on a pas mal entendu
parler en France ces derniers temps en raison d’une grande tournée de
performances qu’il y a effectuée. Autour d’un triple événement : un
nouveau livre, un film et une exposition de ses poèmes visuels. C’est que,
artiste protéiforme, John Giorno est un poète attaché aux lecture sur scène et
qui se sert de toutes sortes de moyens pour dire, faire sa poésie :
spectacles, films, installations, poèmes peints ou imprimés. Autour du Pop Art,
de la sagesse bouddhiste, de la Beat generation et du dialogue avec les autres arts. A découvrir dans toutes ses facettes
grâce à l’article de Pierre Hild, à son troisième recueil traduit en France, la
Sagesse des sorcières, chez Al
Dante et l’exposition à la Galerie du
Jour, du 9 novembre au 24 décembre 2005, 44, rue Quincampoix, 75004 Paris (ouverture
le mercredi 9 novembre de 18h à 21h en présence de l’artiste, projection en
avant-première du film :«Nine poems in Basilicata» réalisé par Antonello
Faretta, signature de son nouveau recueil «La sagesse des sorcières» aux
éditions Al Dante).
Le Matricule des anges, le mensuel de la littérature contemporaine, 5 €,
n° 68, novembre-décembre 2005.
Je conseille vivement la
visite du très beau site de le
Matricule des anges
Il sera bientôt possible
de s’abonner à l'accès internet des dossiers de Le Matricule des Anges,
après la mise en place d’
un système de paiement par carte bancaire sécurisé.
Il faut aussi signaler un
nombre impressionnant d’articles en accès libre.
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