« Pour lutter [...] il ne reste que l’opacité du poème. Pourquoi ? Parce que l’obscur est inconsommable »*
Moments très forts, ce dimanche 6 novembre aux Parvis
Poétiques de Marc Delouze, à deux pas de la Place Clichy à Paris dans ce havre
à l’écart du bruit local qu’est le Fond’Action Boris Vian. Une double lecture
selon le principe cher à l’animateur des lieux, avec un « grand
aîné », ici Bernard Noël et un ou une poète moins connue, là Claudine
Bohi. Lecture sans musique cette fois, mais close par une étrange cérémonie que
même Marc Delouze n’avait pas prévue !
Lumière et Ombre
Comme me l’a fait remarquer la poète Gabrielle Althen, double lecture mais aussi double jeu de la
lumière et du noir, dans l’opposition entre les deux poètes.
Lumière en effet, thème central du beau texte lu par Claudine Bohi, extrait de son tout nouveau recueil paru au Dé Bleu, Une saison de neige avec thé : « c’est une lumière où tu te tiens quand plus rien ne te porte ». Longue et lente variation autour d’une thème d’une lumière centrale, irradiante mais souvent cachée avec ce mot "lumière" revenant en litanie.
De cette lumière, avec Bernard Noël, on passe à l’ombre avec
un premier mouvement que l’écrivain décrit comme « politique ».
ajoutant « qu’il n’aime pas l’étiquette de poète parce qu’elle le rejette
dans un ghetto ». Lecture éminemment politique en effet que l’extrait
qu’il a choisi de La Castration mentale.
Un texte qui oppose une oppression "délicate" à l’oppression brutale
des dictactures, de la torture, mais qui travaille à fabriquer la même
soumission en utilisant la culture
comme véhicule « dissolvant la possibilité même de lui résister » ;
la culture est devenue une marchandise et il s’agit pour les tenants du libre-échange
généralisé de s’emparer de la totalité du champ culturel et de la totalité de
l’espace mental des acteurs de la culture. Le pouvoir médiatique a pour
fonction de « dispenser la mort mentale » car les « écervelés
sont de serviles consommateurs ».
Bernard Noël passe ensuite à la lecture de son dernier
livre, tout récemment paru à l’Amourier (voir
l’anthologie permanente de Poezibao du samedi 5 novembre), La Vie en désordre. Registre beaucoup
plus intime, mais lecture très sombre, très désespérée, désertée par l’espoir.
Je suis frappée par la voix de Bernard Noël, immensément calme, à l’élocution
très claire, une parole qui s’énonce sans forcer la voix, mais portée par une
indicible mélancolie. J’ai tenté un moment de l’analyser en termes musicaux,
j’ai échoué, notant seulement une profonde régularité sur l’ensemble de la période, avec un très léger
infléchissement à la fin, origine sans doute de cette impression prégnante de
mélancolie (merci à Angèle Paoli qui dans son blog Terres de Femmes m’a permis de trouver un document audio, Bernard Noël, lisant un extrait de La maladie de la chair).
Les Souffleurs
Alors que la voix de Bernard Noël s’éteint, plusieurs étranges silhouettes font leur
apparition. Hommes et femmes, quatre ou six je ne sais, habillés tout de noir,
portant au bras de grands parapluies et dotés (je n’ai pas envie de dire armés)
de longues sarbacanes : j’ai nommé "( L e s) S
o u f f l e u r s Commandos Poétiques**" . Leurs
interventions sont toujours intempestives (même Marc Delouze ignorait leur
venue) et les voilà, venus murmurer à l’oreille de certains des nombreux
spectateurs (j’estime que nous étions environ soixante-dix) des fragments de
textes. Ballet étrange, suspens bruissant en parfaite continuation avec le
silence qui s’imposait après la lecture de Bernard Noël.
Textes de lumière, textes de nuit et de mort, clos par ce
ballet pour parole soufflée, murmurée, encore un moment magique dû à Marc
Delouze : « une margelle au bord d’un abîme »***
©florence trocmé
* Bernard Noël dans un entretien avec Alain Marc, paru dans
la revue Europe, numéro 823/824, p.
178.
** ( L e s) S o u f f l e u r
s : partant du principe que l'humanité se reproduit de bouche à oreille
et que l'homme est une somme de virtualité de points de vue (Deleuze),
Olivier Comte écrit un "Manifeste du Chuchotement" puis crée en
janvier 2001, un groupe d'intervention poétique qu'il nomme : ( L e
s) S o u
f f l e u r s Commandos Poétiques
( L e
s) S o u f f
l e u r s proposent une métaphore poétique du flux informatif anonyme en
chuchotant dans les oreilles des hommes à l'aide de cannes creuses (les Rossignols)
des secrets poétiques, philosophiques et littéraires et opposent ainsi à
l'incertitude générale du signalement la posture provocante de la tendresse. Voir leur (très beau) site
*** l’expression est de Bernard Noël, dans un entretien avec Jacques Ancet que l’on peut lire en ligne sur le site de Prétextes. sur le site de Prétexte ; entretien que je conseille vivement et où on retrouve nombre des thèmes abordés par Bernard Noël dans la partie "politique" de sa lecture.
photos ©florence trocmé, de haut en bas, Bernard Noël, Claudine Bohi, Bernard Noël, Les Souffleurs et Marc Delouze avec Bernard Noël et Claudine Bohi.
Rédigé par : benssekkour hafida | mardi 13 novembre 2007 à 00h33
Rédigé par : Florence Trocmé | lundi 07 novembre 2005 à 16h37