"Ce temps n'est plus dans le rythme"*
"The time is out of joint"**
Hier en fin d'après-midi, une fois encore, qu'il en soit remercié, Marc Delouze organisait un de ses Parvis Poétiques à Paris, au Fond'Action Boris Vian.
Le lieu est "habité" certes, Marc le répète chaque fois évoquant Boris Vian et Jacques Prévert qui vécurent là, juste au-dessus de cette grande salle où il convie les poètes et les musiciens. Mais il sait aussi lui donner vie de façon magnifique en recevant des poètes en duo toujours, un "grand aîné "(pas tant par l'âge mais plutôt par la notoriété) et un (souvent une au demeurant !) poète moins connu(e).
En ce dimanche 4 décembre 2005 étaient ainsi conviés André Velter et Laure Cambau, pour un moment placé sous le signe de la poésie et de la musique.
Laure Cambau est poète et pianiste. Elle a donc ouvert le feu avec une pièce rare de Federico Mompou (1893-1887), avant de lire quelques textes, trop peu. On aurait aimé l'entendre davantage, elle lit bien et ses textes intriguent, avec leurs images souvent étranges exprimant un désir : "être juste déclaré apte à l'incantation". Car "Il y a juste une urgence à sortie du corps [...] il y a juste une urgence à trouver la plaie de secours". Elle a lu des extraits de son dernier livre Et le pourboire des anges ?*** paru aux Éditions de l'amandier, animées par Henri Citrinot. Laure Cambau clôt sa prestation par une autre pièce peu connue (j'aime les pianistes qui ont le goût de faire découvrir un répertoire rare, ici Guy Ropartz [1864-1955] ). Le tout joué sur le piano droit légèrement (mais délicieusement) désaccordé de la fille de Boris Vian !
Musique encore ou plutôt très bel alliage musique et poésie pour la seconde partie de la soirée autour d'André Velter.
André Velter, faut-il le présenter ? L'infatigable passeur de poésie, l'homme de Poésie sur parole sur France Culture (dont on ne dira jamais assez à quel point la suppression des ponctuations quotidiennes a dévitalisé l'antenne), le directeur de l'irremplaçable collection Poésie/Gallimard riche aujourd'hui de plus de quatre cents livres. André Velter qui est aussi poète, auteur notamment de textes bouleversants en mémoire de son amour Chantal Mauduit l'alpiniste victime d'une avalanche sur le Dhaulaghiri au Népal en mai 1998.
André Velter pour beaucoup d'entre nous c'est une voix. Une voix qui hier soir a donné sa pleine mesure (bonheur de l'entendre là, à quelques pas, le lieu est intime, et non pas transportée sur les ondes radiophoniques). En premier lieu parce que les auditeurs de France Culture le savent, il lit admirablement. Parce que ses textes ont souvent un côté quasiment incantatoires, avec un rythme qui les tend comme un arc jusqu'à leur chute. Ainsi du mot rouge dans un des tout premiers poèmes lus, rouge qui semble être comme les pierres d'un gué sur lesquelles le poète s'appuie pour rebondir plus loin jusqu'à l'autre rive. Mais aussi parce qu'André Velter a sorti récemment un disque de chansons parlées. Il faut entendre par là des poèmes non pas dits sur des musiques mais intimement imbriqués dans un monde sonore créé spécialement pour ces mots-là. Le poète s'est livré à une expérience intéressante : lire en premier lieu le texte à nu, puis le faire entendre enregistré avec sa musique. Très belle musique au demeurant, valses, tangos, slows, accords sombres d'un piano, musiques originales écrites par Jean Schwarz et Benoît Charvet. On aurait presqu'aimé l'entendre superposer sa voix réelle à la voix enregistrée, pour donner encore plus d'espace, d'épaisseur, de projection à ses textes.
Mais bonne nouvelle donc, tout cela, on peut le retrouver sur un disque qui permet de saisir mieux encore quelques-unes des caractéristiques de l'art poétique au fond très vocal d'André Velter : rythme on l'a dit bâti sur la répétition de mots ou de fragments textuels, alternance de temps forts et de temps faibles (au sens musical bien entendu !), crescendos et reprises. Poésie de célébration et de deuil comme ce Quel Royaume, oui quel royaume que ce monde avec ses beautés et ses horreurs mais royaume de l'amour défunt et cela se termine sur un cri. Même si hier soir, André Velter a donné deux versions de ce texte, l'une sans musique démarrant mezza-voce pour faire monter de l'intérieur la tension, débit et volume de la voix en accelerando/crescendo très bien dosés (cet homme-là se dit-on a sans aucun doute joué d'un instrument de musique pour savoir faire cela, à moins que sa voix soit cet instrument)
On l'aura compris, de nouveau un beau moment aux Parvis et j'en profite pour recommander chaudement aux parisiens ce rendez vous dominical (16h45, une heure idéale) proposé gratuitement par Marc Delouze, environ un dimanche par mois. Au programme fin janvier, sans doute Mathieu Bénézet.
©florence trocmé
*André Velter, Décale-moi
l'horaire, 1 CD audio, epm
littérature, 2005
**William Shakespeare, Hamlet, Gallimard, Folio, 2003, p. 68
***Laure Cambau, Et le
pourboire des anges ?, Editions
de l'Amandier, 2005
La fiche
de Laure Cambau dans la Poéthèque du Printemps des Poètes
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