Les réveils, à l'aube, initient l'enfant à la différence.
Il ne sait pas où réside cette différence, comparable à être vivant ou à être mort. Il était les deux : un peu de la vie et un peu d'avant ou d'après la vie. Il n'arrivait pas à exister totalement. Peut-être que l'abandon dont il a souffert ne fut pas total non plus, une moitié de lui étant restée accrochée à sa physionomie qu'il ignore, tandis que l'autre s'en arrachait brutalement pour s'éloigner.
L'autre moitié s'éloigne toujours. C'est pourquoi il n'a pas la capacité de sortir de lui, ni de son ombre, et de voler beaucoup plus haut jusqu'à se désenchaîner de ses bonds. Comme il ne peut pas se briser au sommet des voltiges, à la manière de la mer. Ce désir, qu'il nourrit en permanence, lui rappelle qu'il a peut-être été elle : il retrouve dans sa gorge ses gémissements. Et la saveur amère remonte à ses pupilles.
Silvia Baron Supervielle, La Frontière, José Corti, 1995, p. 33.
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Fiche bio-bibliographique,
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