2.
Il y a un lieu infranchissable.
Tout en moi voudrait que ce lieu soit fictif : une simple hypothèse proposée
pour un vain défi.
Cependant, ce lieu a surgi une fois ou plusieurs et son désir subsiste : un
désir trouble où l'effroi se mêle à la curiosité.
Je veux atteindre un dehors inhumain.
Ce sont des mots alors que là, il n'y a plus de mots.
Reste l'impression : elle seule.
Toute impression forte affecte le corps à cause de l'émotion qu'elle suscite,
et si le corps s'interroge sur la nature de ce qu'il éprouve, le voilà qui
remonte vers l'espace mental. L'observation utilise bien sûr des mots mais leur
usage assèche le flux…
Comment accepter cette brusque carence devant un phénomène qu'on ne voudrait
pas qualifier d'impensable ou d'indicible car il n'y a pas plus d'impensable ou
d'indicible pour la raison que ni la pensée ni le langage ni la pensée ne sont
environnés d'une extériorité qu'ils auraient à conquérir peu à peu comme une
terre vierge. L'impensable est du provisoirement impensé et l'indicible du
provisoirement non dit tout comme l'invisible est provisoirement dissimulé
derrière du visible….
La pensée présente nous cache une pensée future parce que son exercice nous
occupe entièrement. Ainsi notre activité mentale ne cesse-t-elle de nous
masquer un arrière-pays dont l'obscurité menace d'envahir ce qui nous
éclaircit. L'écriture pressent cette ombre, qui peut-être la suit, ou qui
peut-être la pousse en avant… A moins qu'il n'y ait deux arrière-pays : la
région claire du déjà pensé, du déjà dit, et l'autre, celle qui reste en
attente…..
Bernard Noël, Ce désir
d'écrire, in La vie en
désordre, L'Amourier, 2005, p. 64.
bio-bibliographie
de Bernard Noël,
Lecture
aux Parvis poétiques (nov. 05),
Extrait
1
voir aussi :
les
"lectures" de Bernard Noël par Alain Marc
Rédigé par : Marie.Pool | lundi 05 décembre 2005 à 15h35
Rédigé par : Michel Van Parys | lundi 05 décembre 2005 à 14h54