Présent, implicitement,
dans le titre, l'arbre pourrait bien être l'emblème de ce livre publié au
Taillis Pré (encore l'arbre !) par André Ughetto.
Et cela de plus d'une
façon. Certes, l'arbre est le sujet, l'objet de nombreux poèmes ! Dès l'entrée
du livre et son "Forêts, vous finissez/à l'intérieur des villes".
Deux vers très représentatifs aussi de la quête d'André Ughetto car s'il
privilégie le règne végétal, ô combien, il ne se détourne pas pour autant du
concret de la vie quotidienne et moins encore de l'exercice de la pensée. Sur
le monde, sur l'être, sur la poésie. Restons un moment dans le domaine du végétal pour
dire le bonheur de ces poèmes qui sont dédiés à ces arbres, à leurs "houles
verdoyantes", puisque"c'est bien à leur fourche extatique/que nous
rêvons encore de monter" ; ils
sont là "Oliviers couronnés de pâleur/Lauriers cernés d'une gloire
odorante/Bouleaux médecins/Peupliers miroitants télégraphes", etc.
Si le végétal - et la
forêt singulièrement- compte parmi les
thématiques majeures du poète, fondamentale aussi est la présence humaine,
celle des nombreux poètes célébrés, cités par Ughetto, depuis René Char (il
faut rappeler que les deux poètes furent voisins à l'Isle-sur-Sorgue), jusqu'à
Christian Gabriel/le Guez Ricord, Gabrielle Althen, Léon Gabriel Gros,
Dominique Sorrente pour n'en citer que quelques-uns. Très présents aussi les
civilisations anciennes et les souvenirs des voyages, en Chine, en Angleterre,
dans le désert.
Plus frappant encore
peut-être : la tonalité générale des
poèmes, tous écrits dans une langue classique, sobre, avec de temps à autre une
pointe de préciosité : tonalité comme archaïque, mythique, ancestrale.
Remarque qui permet de
glisser vers l'étonnante construction du livre dominée par…. l'arbre. Et pas
n'importe lequel puisqu'il s'agit de l'arbre des Séphirot,
comparable pour les kabbalistes à l'Arbre de vie, véritable diagramme de la
création. Cet arbre est construit sur trois axes sur lesquels se répartissent
les séphirots qui sont des nombres et des symboles représentatifs de la
création, celle du cosmos mais aussi celle, individuelle, de chaque homme. "Tout acte, toute opération, tout
projet humain peut-être lu selon ce schéma" dit André Ughetto qui depuis
toujours passionné par la Kabbale, a naturellement songé à cet arbre des
Sephirot quand il s'est agi de publier une importante sélection de poèmes
écrits depuis des années. Il a donc choisi puis réparti les poèmes en une
première série ascendante depuis le niveau le plus bas, Malkuth, "notre
séjour terrestre, notre sphère d'action" jusqu'à la Couronne Kether
"point primordial, point dans le cercle". Mais "comme notre
condition n'est pas de rester plantés sur une cime", le poète invite son
lecteur à redescendre vers l'incarnation; "désescalade, redescente vers
les séphires inférieures".
De tout cela, très
justement, André Ughetto s'explique dans ses Intentions, en guise de postface. On est heureux de trouver
au terme de la lecture des poèmes, de plus amples explications sur ces noms
hébreux aux résonances inconnues qui ponctuent le livre, têtes de chapitres,
Tipheret, Netzach, Hod, Yesod. Il décrit cet autre arbre, symbolique,
ésotérique, comme un "stimulateur de [ses] errances imaginatives, repris
"comme un opérateur de classement pour des poèmes". Confronter aux
dix niveaux séphirotiques ces poèmes, dont la plupart furent écrits
antérieurement à l'idée de la construction du livre "a été une façon de
les mettre à l'épreuve, de les unifier en les reliant et d'affirmer leur diversité
en les maintenant sous un principe unitaire".
Mais surtout que tout
cela n'inquiète pas le lecteur ! Rues de la forêt belle n'a rien d'un ouvrage mystique, ésotérique, hors
de portée : c'est avant tout un beau recueil de poèmes qui offrent, à ceux qui
le désirent, de très beaux moments de lecture qu'ils aient envie ou non de se
pencher aussi sur la construction du livre et sur l'univers assez fascinant des
Séphirot dont la polysémie semble en accord ave "l'irréductible et
nécessaire polysémie de la poésie". Car c'est d'elle, la poésie qu'il
s'agit ici avant tout et sans aucune ambiguïté.
©florence trocmé
André Ughetto dans Poezibao :
fiche
bio-bibliographique
rencontre
avec André Ughetto (nov 05)
extrait
1
André Ughetto, Rues de
la forêt belle, Le Taillis Pré,
2004.
isbn : 2-930232-87-0, 20 €
Extrait
La poésie est un ouvrage
astronomique
Un long calcul dont nous sommes les osselets
Une chance sur des milliards que survienne un astéroïde
l'entropie d'un immense brouhaha
La recherche de la simplicité la plus exquise
Le silence lacté d'un étang sous la lune
La paix qui s'émerveille à la proue d'une rencontre
La vie discrète au parler incertain, la
Silhouette d'une biche fugace en un vert pré.
(p. 85)