Pour une fois je
reprendrai purement et simplement en guise de préambule la déclaration
d'intention de la revue propos de campagne sur son site
"La revue propos de
campagne est née en 1993 du désir
de proposer au lecteur des textes, poésie et prose, et de les mettre en
perspective avec des interventions plastiques sous des formes diverses. Ainsi
apparaît propos de campagne dans le
monde des revues avec la volonté d'offrir un vrai livre à la mise en page
soignée. Dix ans plus tard, cette exigence ne s'est pas démentie avec des
ouvrages qui font justice aux textes et aux images."
Et cela d'autant plus
volontiers que je trouve que le numéro 15 de la revue que j'ai entre les mains
aujourd'hui est toujours en parfaite adéquation avec ce programme.
Premier contact : c'est
en effet un bel objet, carré, 21 x 21 cm, rouge. Mais ce qui frappe surtout
c'est à l'intérieur la qualité des reproductions et la qualité de la
typographie, les unes comme l'autre jouant un rôle clé dans l'approche
éditoriale. Mais on sait malheureusement que trop souvent de l'intention à la
réalisation, le niveau du porte monnaie pousse à opérer des coupes sombres ce
qui n'est heureusement pas le cas ici.
Sous le titre dialogues
autour le la peinture, ce numéro
est tout entier axé autour d'une seule artiste plasticienne, Valérie Buffetaud. Mais le
parti pris de la rédaction est très intéressant en ce sens qu'il semble lui
avoir fait jouer le rôle d'une sorte d'aimant, de pôle magnétique pour attirer
des textes qui vont de l'essai à la collection d'aphorismes, du poème à la
visite d'atelier.
Précisons donc un peu :
voici en ouverture, après quelques images énigmatiques en noir et blanc,
soleils, couronnes, galettes, on ne sait, gravures on l'apprend, une méditation
poétique de Jean-François Humeau autour de la couleur et de la matière,
couleurs et matières de Valérie Buffetaud bien sûr mais couleurs et matières
telles que peuvent les vivre bien des artistes d'hier comme d'aujourd'hui
"le noir ne se réduit pas au carbone mais dans le pré-thétique, il
signifie "la terre" – dont la calcination, la brûlure, l'arrachement
– est le vif de la création et de son battement" (12) ou cette belle
définition qui semble si bien coller à ce que l'on voit, à ce qui surgit plus
exactement des pages "Dans la tension entre sculpture et peinture, les
toiles ont souvent la forme, concrète et figurale, de "volumes" dont
les côtés ont disparu dans un "sans verso" caractéristique de leur silence" (15) ; autre essai celui de
Daniel Lacomme, en une sorte de théorie de la couleur, avec de ci de là des
réflexions qui évoquent Itten, Klee ou Kandinsky. On retiendra cette belle
suggestions "Se faire une Constellation culturelle. Les prédilections dans
la culture sont bien comme les horizons nocturnes qui se déplacent lentement et
changent selon les heures et les saisons ; certaines constellations permanentes
et d'autres plus basses sur l'écliptique qui se renouvellent. Une année est une
vie" (29). Puis ponctuation -le recueil est bien rythmé, composé-de photos
de l'artiste au travail, lesquelles photos prendront leur plein sens un peu
plus loin à la lecture d'une belle visite d'atelier un peu triste de Claude
Duneton. Mais auparavant le lecteur aura traversé et la poésie et la peinture
dans un jeu de percussions entre sans doute les plus saisissantes reproductions
du livre, des toiles d'un rouge virulent incendiaire terrible de Valérie
Buffetaud et les mots comme frappés de Claude Held : "un feu/dévale/du
silence/au silence", écho de ce qui se passe en vis-à-vis sur la page, là,
de l'autre côté et qui vous saute à la figure, balafres, entailles, couleurs de
cendres, de terres, minérales, de lave, de sang. Il est sans doute plus
difficile de percevoir le lien entre la peinture et le texte de Jacques
Norrigeon : un formidable emboîtement de textes, du lâche au très concentré
pour repartir dans le lâche, quelque chose qui fait penser à ce petit pupitre
que vous tend l'opticien, avec des corps de plus en plus petits. Oui, ça démarre lâche et plein de O, même la gamme
y passe, c'est drôle, do ro mo fo [un
trou pour sol renvoyé à la ligne suivante] lo so do…. ça se présente en blocs
toujours de 12 x 12 cm mais dans le bloc il y a de plus en plus de choses et de
texte beaucoup de jeux sur les mots d'allitérations de paronymies les voyelles
requises pour toutes sortes de fantaisies, bref ça joue donc parfois ça peut
paraître un peu gratuit mais ce n'est pas très grave, ça se concentre de plus
en plus sur 9 textes et hop, ça repart à la hausse du corps à coup de "sentences détextées" pour
aller vers "onomatopée topant la luette tapant le larynx toquant la glotte
taquant les cordes vocales estoquant les voyelles de cordée estampant les
consonnes ébruitées dans le vent de la plainte la gorge ingurgitée dans
l'œsophage estomaquée dans la panse" (70), etc. Allez, le mot de la fin, "zut ubu zut"(73) ; c'est bien
jusqu'au bout, avec encore des toiles rouges incendiaires, avec du texte rouge
pour explorer le rouge "à d'autres radiances/au magma grondant/jailli de
l'abîme (et là soudain on repense aux onomatopées de Norrigeon) : "et ces
cieux noirs/qui jamais n'ont porté/la moindre fleur" ? (92) et ça se
termine par un nouveau texte, de Bertrand Renaud, méditatif ou poétique ou les
deux comme on voudra "il suffit d'une poignée de mots, de peinture,
d'amour et d'une équivalence de solitude pour vivre l'avant".
propos de pampagne n° 15, 2005, 21 €, édité par Propos2editions.
Images d'une
performance de Valérie Buffetaud avec Bertrand Renaudin
©florence trocmé
Commentaires