Affluence record hier au Cercle Aliénor, au premier étage de la brasserie Lipp à Saint Germain-des-Prés, à Paris. Le quota de 40 personnes largement atteint, les organisateurs ont dû refouler plusieurs auditeurs attirés par la conférence proposée autour de l'œuvre de Pierre Albert-Birot.
Trois intervenants pour cette fin d'après-midi chaleureuse : Arlette Albert-Birot, l'épouse de Pierre Albert-Birot, infatigable à promouvoir et faire connaître l'œuvre du poète disparu en 1967, Astrid Bouygues, une jeune femme universitaire et l'acteur Vincent Byrd Le Sage.
De même que beaucoup appellent Pierre Albert-Birot, PAB, selon ses trois initiales, se trouvait ici réuni un véritable trio, au sens musical du mot, pour jouer sur la thématique bien précise et très inattendue choisie par Astrid Bouygues.
Une infatigable passeuse de poésie
Mais avant d'entrer dans le vif du sujet, je voudrais parler un peu plus d'Arlette Albert-Birot. Dire l'admiration que suscite cette infatigable passeuse de poésie. Car non contente de s'être mise au service de l'œuvre de Pierre Albert-Birot, elle a ou elle a eu d'innombrables activités autour de la poésie et de la littérature : professeur à Normale Sup, elle a organisé de très nombreux colloques autour notamment de Soupault, Max Jacob, Follain, Georges-Emmanuel Clancier (présent dans la salle) ; elle œuvre aussi à l'Association des Amis de Victor Hugo, au Marché de la Poésie qui sans elle n'existerait peut-être plus, au Printemps des Poètes ; elle est membre de nombreux jurys dont celui du prix Yvan Goll et a publié plusieurs essais, sans parler du travail d'édition considérable accompli autour de l'œuvre de PAB.
Quant à Astrid Bouygues, il y a quelque étonnement (jubilatoire) à confronter le visage distingué de cette jeune femme, sa voix douce et posée et les thèmes sur lesquels elle travaille. Elle compose en particulier une thèse sur "la boucherie dans la poésie du XXe siècle", étude qui cite plus de 200 poètes et s'intéresse à tout ce qui tourne autour de l’idée qu’on tue pour manger, acte de plus en plus ressenti par les poètes, au cours du dernier siècle comme un “meurtre alimentaire” : l’entredévoration animale, l’abattage des animaux, la boucherie, le cannibalisme et toutes les symboliques liées à la gueule dentée et meurtrière. Dans le prolongement de ces études, elle s'intéresse naturellement au rapport au corps des poètes, et à la notion d’animalité. Son auteur de prédilection reste Raymond Queneau (elle s'est occupée pendant sept ans de la revue Les Amis de Valentin Brû qui lui est consacrée), mais elle écrit aussi sur Pierre Albert-Birot et sur Georges-Emmanuel Clancier.
Le poète "corps et âme"
La rencontre débute par une courte intervention de Maurice Lestieux, président du Cercle Aliénor, qui situe l'importance de PAB, ce poète "corps et âme" dont l'œuvre a été un vrai laboratoire de la modernité au point que Robert Sabatier a pu dire que "toute nouvelle expérience, Pierre Albert-Birot l'a déjà faite avec un demi siècle d'avance".
Questionnée ensuite par Astrid Bouygues sur le côté inclassable de PAB, Arlette Albert-Birot le décrit comme un être qui était "partout et nulle part, en lui essentiellement". Elle brossera un rapide tableau de ses innombrables relations dans le monde de l'art et de la littérature autour notamment de l'expérience de la revue SIC (n° 1 à 54, 1916 à 1919, réédités par Jean-Michel Place), véritable banc d'essai qui va lui permettre aussi de se découvrir. Au travers d'expériences fondatrices comme sa rencontre avec le peintre futuriste italien Severini, rencontre qui va opérer en lui une métamorphose totale, véritable "voile qui se déchire". Les noms prestigieux s'égrènent : Apollinaire, Radiguet, Reverdy, Zadkine, pour n'en citer que quelques-uns. Arlette Albert-Birot s'arrête ensuite un long moment sur le fameux Grabinoulor, le personnage créé un beau matin alors que PAB venait de terminer son premier grand poème lyrique, La joie des sept couleurs. "J'étais en attente de poème" dira-t-il lorsque tout à coup le personnage a jailli avec son nom à la sonorité bien particulière accompagné du schéma du livre et de la certitude que tout ce qui venait de naître allait le tenir jusqu'à la fin de ses jours. Grabinoulor, héros d'une "épopée", sous-titre proposé d'emblée à PAB par Grasset. Le premier livre (il y en aura six en tout) sera publié en 1921. Évocation aussi de la "langue en barre" pour cette prose si particulière de PAB, qui ne comporte aucune ponctuation et qui reste pourtant d'une parfaite clarté syntaxique.
Corps et âme, mais
surtout corps ce soir….
Après ces moments
dialogués, Astrid Bouygues va développer son thème. Si toute l'œuvre de Pierre
Albert-Birot tourne autour de la question de l'origine de la poésie et de sa
nature, elle explique avoir choisi un fil conducteur pour interroger cette
quête inlassable de la source poétique : le thème excrémentiel (imperceptible
mouvement de surprise - ravie, choquée ? - dans la salle). En fait le
scatologique est très présent dans l'œuvre, essentiellement dans et il se
présente comme réponse à une double détestation de PAB : la poésie intellectuelle
et la romance. C'est ce que va démontrer, très finement, Astrid Bouygues en
s'appuyant sur différentes thématiques et sur de nombreux exemples. On rit dans
son for intérieur non seulement des oppositions déjà soulignées mais aussi de
ce mélange d'érudition et de drôlerie, de cette "conférence" lisse et
très cartésienne, pince-sans-rire, émaillée presqu'à l'improviste de quelques
jeux de mots. Et ponctuée des interventions de l'acteur Vincent Byrd Le Sage,
qui met littéralement en scène, alors qu'il reste assis sur sa chaise, les
moments prélevés dans Grabinoulor. Ainsi par exemple de sa première lecture autour du personnage truculent
de la femme des Halles interpellant les passagers dans un train à grand renfort
de trous du cul ! Il s'agit par tous les moyens pour PAB de saper les
fondements de tout intellectualisme dans la poésie mais aussi de tout
sentimentalisme on l'a dit, une poésie de la tête ou une poésie du cœur qui
oublieraient le corps. Il s'agit aussi par l'évocation de l'excrément de jeter
des anathèmes contre toutes les institutions, tout ce qui est respectable.
Grabi leur dit merde et affirme la souveraineté du corps, de la machine corps,
machine à digérer, à déféquer. Par l'orifice culesque, en s'inscrivant
résolument dans les "œuvres à odeur forte", en une poésie de la
générosité qui s'oppose à toute constipation. Une poésie qui contre tous ceux
qui transforment l'or en ordure métamorphose avec une immense palette de
ressources l'ordure en or.
On l'aura compris, ce fut
un réjouissant moment. Je ferai cependant une légère critique : une fois encore
j'ai regretté la part un peu trop modeste réservée aux textes eux-mêmes,
surtout compte tenu du talent de Vincent Byrd Le Sage. J'aurais préféré un
dosage un peu différent donnant part égale à l'entretien avec Arlette
Albert-Birot, la conférence d'Astrid Bouygues et les lectures de Vincent Byrd
Le Sage. Et que soit précisé auprès de tous, ce qu'Arlette Albert-Birot a fait
auprès de moi en privé, que cette thématique, pour importante qu'elle soit, n'est
qu'un des éléments constitutifs parmi beaucoup d'autres, d'une œuvre très
singulière et étonnamment moderne.
Photos ©florence trocmé, de haut en bas
1. de gauche à droite, Arlette Albert-Birot, Astrid Bouygues et Vincent Byrd Le Sage
2. Arlette Albert-Birot
3. Arlette Albert-Birot et Astrid Bouygues
4. Vincent Byrd Le Sage que l'on peut retrouver sur son site personnel en cliquant sur ce lien
Rédigé par : jj dorio | lundi 26 janvier 2009 à 11h06
Rédigé par : Vincent Byrd Le sage | dimanche 11 décembre 2005 à 21h08