"Tu cours après la
lumière sur du papier" : dès que j'ai découvert ces mots à la page 53 de
ce Manuel de contemplation en montagne, j'ai su que je tenais ma
définition de l'ouvrage ! Car c'est bien d'une quête qu'il s'agit ici, une
quête dont l'aspect le plus original est sans doute cette recherche de la
lumière, intérieure et extérieure.
Il s'agit d'un ensemble de notes, notules, aphorismes, remarques brèves,
courtes descriptions qui évoquent bien sûr les philosophies orientales dont on
sent l'importance qu'elles revêtent pour Yves Leclair : il n'est que de
consulter la bibliographie portative qui clôt le livre pour y trouver
maintes références aux maîtres zen et aux chinois anciens. On songe aussi
parfois lisant ce Manuel à certains textes de Krishnamurti,
singulièrement cette série qui s'ouvre toujours par une description d'un
paysage, moment de lumière ou de silence, pour ensuite déboucher sur une
considération sur la vie, sur la souffrance, sur la relativité de toutes
choses, considérations qui prennent tout leur poids de la confrontation avec la
description qui les précède. Cette bibliothèque portative compte un peu
plus de cinquante entrées et on y relève les noms de Claude Vigée, Gustave
Roud, Philippe Jaccottet, Tchouang-tseu, Rogier Munier, Claudio Magris,
Fernando Pessoa, Emily Dickinson, René Daumal, Confucius, etc. Et si je cite
ces noms-là, c'est pour bien montrer la diversité des sources auxquelles
s'abreuve Yves Leclair. Il parvient ainsi à mêler les traditions différentes
avec pour seul objectif, cette quête de la lumière "une lumière d'autant
plus douce, neigeuse, levante, élevante, que la nuit fut noire, qu'elle put
paraître sans fin. S'orienter" dit-il en ouverture du livre, alors
qu'il ouvre ses volets vers l'est. C'est la première partie de ce livre en
trois temps, Matin, Midi et Soir, où le temps de vacances
qu'est le séjour répété dans une région reculée des Pyrénées, au cours des étés
et des hivers de 1996 à 2004 se transforme en temps de vacance, en lutte
(douce, passive) contre la "défaite quotidienne de la cécité".
Apprendre à voir, à être là, à l'écart, passer des "heures à ne rien
faire, à laisser [l'] esprit divaguer – barque qui dérive sur les eaux calmes
de la journée" avec une pointe de critique du mode de vie contemporain
"non pas une journée bien pleine, bien occupée, une de ces journées de
gavé, d'obèse, d'homme important (qui se croit tel), ignorant le vide et
l'impermanence de tout".
Mais qu'on ne croit pas trouver ici un de ces digests zen médiocres comme il en
a tant fleuri. Il y a une approche littéraire, une sorte de sculpture fine des
impressions, des sensations, avec une humilité qui s'appuie sur Robert Frost
dont l'auteur dit qu'il rejoint la belle définition de la poésie "une
résolution temporaire de la confusion". Au demeurant, qu'on y songe, 120
pages pour tant d'années de présence, dans ces montagnes, en été et en hiver,
dans la chaleur ou la neige, pour tant d'heures à "ne rien faire",
"dans l'étoffe douce et secrète du silence" : c'est bien le livre
d'un poète, d'un poète de la lumière et du silence en accord avec Philippe
Jaccottet lorsqu'il dit "ce qui pourrait encore valoir la peine, quelques
paroles vraies sans aucun vibrato". Et même cela est-ce nécessaire semble
nous dire Yves Leclair alors qu'une "merlette, queue relevée, affûte son
bec sur une tuile faîtière et fuse" ?
Dans le même temps, Yves Leclair publie à la Librairie La Brèche, Bergerac, Le
voyageur sans titre, une série de poèmes, très beau contrepoint au Manuel,
puisqu'on y retrouve la même veine, parfois les mêmes lieux, les mêmes relevés,
agencés cette fois en courts poèmes : "Les poèmes ne sont pas/des mots
vides, mais plutôt mes lunettes/mon bol de riz,/Ma lune veillant sur le seuil
des maisons. Je relis Bashô" (Bunus, Pyrénées Atlantiques, 18 Août 1999).
Yves Leclair, Manuel
de contemplation en montagne, La Table Ronde, 2005 (Isbn 2-7103-2784-0)
Yves Leclair, Le voyageur sans titre, Librairie la Brèche, Bergerac,
2005, (Isbn 2-912753-20-1)
Yves Leclair dans Poezibao
:
Fiche
bio-bibliographique
extrait
1, extrait
2
Commentaires