vertige 1
elle dit que du haut des édifices on voit à peine la
ville certains jours et que c'est alors qu'elle peut
éprouver quelques sentiments qui la reposent et
qui lui donnent : un goût particulier de la civilisa-
tion. elle répète autour d'elle que les villes sont
des avalanches qui s'abattent sur nous en émettant
des sons inaudibles à tout autre qu'aux femmes.
elle ne cesse jamais d'éprouver la ville dans tout ce
que la ville jette de dérisoire sur les femmes
dépourvues de leur sac à provisions/ elle s'inspire
du goût de la mer chaque fois que la ville se met à
tourner au-dessous de ses longs édifices comme si
la ville en contre-plongée appelait, sans qu'il n'y
paraisse, la forme réelle de ce qui la nourrit. elle
allonge souvent ses bras pour toucher les gar-
des/fous qu'elle sait d'ailleurs toujours là. elle
aborde alors la question du vertige
vertige 2
du vertige et de sa forme, ce qui se rapporte aux
confins des conflits, mais du vertige ou des surfa-
ces : prise dans un tourbillon, croyant que tout
tourne autour d'elle sans comprendre pourquoi
elle ne tourne pas. présume alors que l'univers est
cycle et rotation. mais contrairement à ses attent-
tes, le monde défile/devant elle tout à fait en ligne
droite selon la loi de l'héritage patriarcal. en mou-
vement, et s'aperçoit qu'autour d'elle rien ne
tourne ; prise alors d'un inconcevable vertige
vertige 3
dans l'espace plein de miroitements : vertige
inédit. éblouie/tentée/et/ravie. tous ses sens tra-
vaillent pour elle à lui faire plaisir et lui donnent à
penser une version de l'existence qui suppose un
déplacement de l'horizon. ce n'est qu'une fois
devenue vigilante qu'elle constate que le vertige de
convention a fait place à l'éblouissement
[...]
Nicole Brossard, Amantes suivi de Le sens apparent et de Sous la
langue, L'Hexagone (Québec),
1998, p. 89 à 91
Nicole Brossard dans Poezibao
Fiche bio-bibliographique, extrait 1,
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