Prière au saint pou1
C'était au printemps de 1944
pendant l'épouillage du bloc gitan
au camp d'Auschwitz Birkenau
les jupes les châles
se fanaient à l'épouillage
dans le camouflage de leurs couleurs
coquelicots iris bleuets
au cas où un champ
qui n'adviendra jamais
La Gitane dans les douches de birkenau
dépouillée de ses couleurs
tient son poing serré
vêtue
de longs plis d'eau
elle cache dans sa main
un grain de vie
une semence de secours
entre la ligne de vie
et la ligne de cœur
au croisement des chemins
de la chiromancie
elle cache dans son poing
le dernier pou
un pou s'en va toujours
quand arrive la mort
la Gitane chante
aux douches de birkenau
svanta djouv
na dja mandyr
saint pou
ne m'abandonne pas
je ne te laisserai pas partir
toi seul m'es resté
il n'y a pas de dieu en enfer
tes frères abandonnent
nos morts
reste avec moi
sauve-moi
saint pou
le capo accourut avec sa cravache
tord les doigts
qu'est-ce que tu tiens là voleuse montre
ce brillant
cette pièce cet or
le pou est tombé
l'étoile est tombée
reste une paume vide
un ciel vide
où monte
fumée après fumée
fumée après fumée.
Jerzy Ficowski, Tout ce
que je ne sais pas, traduit du
polonais par Jacques Burko, Buchet-Chastel, collection Poésie, 2005, p. 107.
Ce poème a également été publié dans le n° 36 de la revue Diasporiques dans un dossier que Jacques Burko a consacré à la
poésie polonaise face au génocide.
1. Les Gitans croient que, mus par l'instinct, les poux abandonnent celui qui va mourir, un peu comme les rats quittent un navire condamné (NdT)
Rédigé par : lheurebleue | samedi 07 janvier 2006 à 10h38