Comment parler de cette sorte de bouillonnement vague et
d’insatisfaction sourde qui ne cessent, depuis quelques années, de me pousser à
écrire non pas ce que je voudrais (une longue prose maîtrisée) mais des bribes,
des fragments, des poèmes, dont je me satisfais si peu, sur le moment, que je
les oublie aussitôt pour les laisser s’accumuler dans un carnet pendant des
mois ? Ce n’est qu’ensuite –– un an après, ou plus, que je peux les lire
avec distance et constater, malgré mon insatisfaction, que quelque chose s’est
produit. Quoi ? Je ne le vois pas bien. Peut-être y a-t-il dans cette
pratique quotidienne et limitée (une demie heure après le repas de midi) comme
une tentative semi consciente de laisser le témoignage d’un jour vécu, avec, en
arrière-plan, toujours, cette phrase de Michel Deguy : « Chaque jour
devrait se terminer par un poème ». Alors, bien sûr, toutes les recherches
formelles, les prurits subversifs m’abandonnent. L’écriture est simple,
toujours plus économe de mots, sobre, presque sèche, parfois. Je pense à Joseph
Joubert : « La poésie construite avec peu de matière, avec des feuilles,
avec des grains de sable, avec de l’air, avec des riens. »
©Jacques Ancet, chutes, inédit, 2003
Commentaires