"Ce noir,
travaille-le / à l'empêtre à la pâte / tisonne-le dans l'être, / chauffe-le à blanc, / qu'il te dénude, /
assèche peut-être, / il te rendra la vue"
Ce que Charles Dobzynski
dit là, on peut le dire de son poème, de sa langue, de son livre.
Le Réel d'à côté qui paraît aujourd'hui aux
Éditions de l'Amourier regroupe trois chants, trois totenlieder, sidérants de force et de beauté (noires, si
noires).
Ce livre est feu. Dans
une nuit noire, celle de l'univers du poète mais aussi celle de sa possible
réception, peut-être 500 ou 600 lecteurs comme pour tous les livres de poésie,
autre forme de combustion, terrible. Ce livre est feu parce qu'il tutoie la
mort, il tente de la regarder dans les yeux et y réussit par éclairs
(terribles).
Il est composé de trois
temps en crescendo : fausse présence présente dans le chant 1, le réel
d'a côté, d'une femme aimée qui
si elle peut sembler réelle par moments a quelque chose d' essentiellement fantomatique ; la rencontre impossible,
le côte à côte, côté à côté, réel d'à côté , "morceau de réel / qui est limite et piège" pour s'abolir
"dans le dédoublement d'une femme inventée" car "Par le rêve il
passe / le réel d'à côté / qui ourle toute sa vie / une douve / où le nuage
pulvérise / son miroir à deux faces / terre et ciel".
Temps du chant solitaire
ensuite, dans Le jour tient par le noir, avec l'alternance de poèmes de plusieurs vers et
de distiques aphoristiques créant une sorte de faux dialogue, de tension, comme
pour introduire une forme du deux, sortir de l'univoque (uni-vox). Charles
Dobzynski décoche par moments des formules extraordinaires, véritables flèches
venimeuses qui viennent se ficher au cœur de ce qui peut rester comme espoir
"La ligne vraie récuse la ligne droite", pour souligner que nous sommes "Mis en coupe / réglée par
adjudicateurs et éradicateurs" mais aussi "complice[s] des ruptures des irruptions / et des naissances"
Une sorte de jeu (au sens
de mouvement) dans les mots, dans la machine des mots, engrenages et roulements
à billes. Le poème machine s'ébranle quand le lecteur le met à feu : "je
suis né de jante à joint dans la ville-essieu". C'est une "Écriture
au plus noir sans destinataire / que dépose l'avenir poste restante " tandis que "A l'intérieur de l'ultime
alvéole, la pensée attend son abeille".
Pratiquement pas de
ponctuation à l'intérieur des phrases de sorte que le sens circule de droite à gauche et vice-versa. Les poètes sont
"sarcleurs de l'impossible" et clair leur rôle : "Occuper les messages occulter les
passages /déjanter l'inconnu habiter l'indescriptible" (ce qui est au fond
une sorte d'art poétique !).
Belle présence ici ou là
de la science moderne, si préjudiciablement absente, à mon sens, de la poésie
contemporaine : "Vivre est un coup
d'éclat de la mort" : cela me fait songer à l'apoptose, le suicide des cellules et aux thèses de
Jean-Claude Ameisen !
Voici enfin les terribles
pseudo-dialogues de la troisième partie, Dialogue pour suite, qui font
songer par moments à la scène de l'échange entre la statue du Commandeur et Don
Juan chez Mozart. Le dialogue pour suite, dialogues oui terriblement corrosifs entre une
entité interrogeante, accusatrice et le poète "je m'aligne au doigt et à
l'œil / Sans savoir qui dicte la loi".
"Nous sommes des
êtres placebos / peut-être déplacés. Ou de beaux placements / sur le marché des
échanges" (57)
Nombre de textes sont tentatives,
vouées à l'échec par nature, de description de la mort. Mais souvent très, très
impressionnants : "La mort, vous
connaissez ?". Textes métaphysiques, apocalyptiques, allumés aux tisons
jamais éteints des camps sans doute. "Que soit franchi le gué des
rencontres improbables / que soient jetés les dés qui délogent le hasard "
Je tiens aussi à signaler
le soin éditorial qui a présidé à la conception de ce livre : vélin 100 g de
Fabriano, caractère Garamond corps 14 merveilleux de lisibilité et d'élégance, frontispice
de Nicolas Rozier et pour la couverture avec rabat une impression par foulage à
sec avec reproduction en creux des premières lignes du livre.
©florence trocmé
Charles Dobzynski
Le réel
d'à côté
L'Amourier, 2005
ISBN 2-915120-11-0
19 €.
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