En préambule à une lecture à quatre voix de Marquise vos beaux yeux, de Josée Lapeyrère, Michelle Grangaud, Liliane
Giraudon et Anne Portugal, ce soir, à Paris
La lectrice n'ira pas par quatre
chemins : il lui a fallu se mettre en quatre
pour élucider, très imparfaitement, quelques secrets de ce quatre-quarts (rappel culinaire, quatre ingrédients hétérogènes en quatre parts égales pour un résultat
homogène et en principe savoureux). Démarrant néanmoins au quart de tour, elle propose ici quatre pistes et un quarteron d'indices, sans prétention
d'épuisement de la richesse de cet in-quarto.
Piste 1, le titre, donc Molière, dont le Bourgeois et les permutations drôlissimes
de Belle marquise, vos beaux yeux me font mourir d'amour (Le Bourgeois gentilhomme : Acte I, scène 5).
Piste 2, la musique (et peut-être la danse, un pas de quatre ?) : quatuor
et chœur : il y a là quatre voix,
distinguées par différentes polices (de caractère !). Les mots aria et chœur
sont émis, pas le mot fugue, qui pourtant aurait sans doute une certaine
pertinence. Car il y a des "sujets", des expositions et
ré-expositions, des changements de registre, renversements et transpositions,
etc.
Piste 3, le jeu et singulièrement celui des osselets. Précision historique :
les quatre ont correspondu pendant
deux ans à bâtons rompus avant d'avoir l'idée de composer à partir de ce quadrilogue un carré de dames : en jouant avec leurs textes, pensées et émotions,
mots : "peut-être que les mots sont nos osselets". Jouer avec les
dires, les permuter, les enlacer, les interchanger, mistigri et bataille.
Piste 4, (mais je suis quasiment sûre qu'elle n'a pas été pensée comme telle
par les auteurs) : la fatrasie, comme ces textes du Moyen-Age qui ne veulent
rien dire (apparemment ou réellement) et où la sonorité et l'humour parfois
grinçant jouent un grand rôle.
On peut aussi proposer quatre
indices supplémentaires :
1. "Laisser les je/bastonner je/que ça sillonne", autrement dit faire
en sorte que par effacement progressif des individualités, quatre ego hétérogènes se combinent en
un tout
2. "Toute chose a au moins quatre
côtés" : époques, souvenirs, émotions, idées, évènements, parfois les
mêmes, auscultés par quatre
stéthoscopes
3. "cada loco con su tema (ça
c'est la lectrice qui le dit, ce n'est pas dans le livre), autrement dit
"chaque fou avec son thème" ou l'illusion de l'échange qui n'est
souvent que la conduite (forcée ?) de quatre
monologues. Un risque assumé ici en toute conscience à mon avis.
4. Coupe, montage, "coutures invisibles", tout le jeu des
permutations, combinaisons des quatre
corpus initiaux. Savoir que parmi les quatre,
l'une est la reine de l'anagramme et une autre, psychanalyste, virtuose de
l'association.
Ceux à qui il est arrivé d'essayer de comprendre – un peu – comment est
fabriquée une fugue à quatre voix
de Bach savent que c'est "coton"… et totalement jouissif. Même chose
pour cette fugue à quatre femmes
dans laquelle on voit passer maints "sujets", du mur du son à la cafetière électrique, de
la ponctuation à la longueur des jupes, du temps à l'écriture, des hirondelles
aux martinets. In fine, on se régale de ce livre (même si oui, parfois, ça agace les dents parce
que ça résiste mais "moi quand on me dit ça signifie que, ça cesse de
m'intéresser")
Et je ne résiste pas au plaisir de citer la quatrième
de couverture du livre qui elle aussi donne plusieurs clés de lecture :
"fiction en quadrichromie
entre amies = disparition de l'autofiction par mixtion
bio développée in-quatro =
anti-bio cryptogame de base x
comment noyer sa chienne de bio = renvoyer les vivants dos-à-dos
le sujet privé c'est notre objet commun = histoire d'en rire et d'en
finir"
©florence trocmé
Liliane Giraudon, Michelle Grangaud, Josée Lapeyrère, Anne Porgugal, marquise
vos beaux yeux, le Bleu du ciel,
collection Biennale Internationale des Poètes en Val-de-Marne, 2005.
ISBN 2-915232-25-3, 15 €
Les quatre auteurs sur Poezibao :
Liliane
Giraudon , extrait
1,
Michelle
Grangaud, extrait
1
Josée
Lapeyrère extrait
1
Anne Portugal,
extrait
1
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