LA MORT ET LE
PSYCHANALYSTE
La mort en avait assez.
Assez de sentir autour d'elle
ces gens qui la fuyaient, ou la recherchaient,
et puis qui changeaient d'avis au dernier moment,
ces gens qui l'avaient frôlée de près et avaient cessé de la craindre.
Assez de sentir qu'elle était combattue sur tous les fronts.
Assez d'entendre promettre à certains une vie après la mort
(qu'est-ce qu'ils en savent ceux-là).
Assez de sentir qu'on lui en voulait à mort.
Le psychanalyste avait l'air bienveillant.
La mort trouva son expression agréable quoiqu'un peu trop professionnelle.
La mort trouvait un peu étonnant
qu'on pût faire des relations humaines un métier,
elle qui n'aimait pas beaucoup les relations humaines
ni les gens en général.
Le psychanalyste se rendait bien compte de la gravité de la situation.
Il fallait débarrasser la mort de cette peur
qu'elle portait en elle. L'amener à devenir elle-même.
Amener la mort à devenir elle-même, vous vous rendez compte ?
Le plus simple
aurait été d'envoyer la mort se faire pendre ailleurs.
Ni vu, ni connu. Mais ce n'est pas une conduite à tenir.
Le psychanalyste aurait également pu lui dire :
"Faites ce que vous voudrez".
Mais dire cela à un patient, et a fortiori à la mort
ce n'est pas une conduite à tenir, d'autant plus que dans le cas de la mort
les conséquences eussent été assez prévisibles.
Le psychanalyste fit donc parler la mort. De tout,
de son passé (elle n'avait pas eu
une enfance particulièrement malheureuse), de son désarroi présent,
de ses projets d'avenir. La mort n'avait pas de projets d'avenir.
Cela faisait partie de son problème.
La mort se mit à attendre ses rendez-vous avec impatience.
Elle préparait ce qu'elle allait dire
et parfois se trouvait en train de dire tout autre chose.
Parfois aussi elle faisait des confidences
qu'elle avait pensé ne jamais pouvoir faire à personne.
La mort, ensuite, tomba amoureuse du psychanalyste.
Elle chercha son nom dans l'annuaire.
Elle chercha et lut ses publications.
Elle s'abstint tout de même d'aller faire les cent pas devant chez lui.
En d'autres termes, la mort avait cessé de s'emmerder.
Elle se sent beaucoup plus heureuse. Quand elle marche dans la rue,
elle se sent le coeur ensoleillé, à l'unisson de la lumière
qui filtre à travers les feuilles des marronniers. Quand elle a quelque chose
sur la patate,
elle sait le dire. Il lui arrive de temps en temps
d'écrire un poème.
La situation dans le monde n'a guère changé, il est vrai.
Les gens continuent à mourir et à redouter la mort.
Mais la mort s'en fiche.
Elle est heureuse,
c'est l'essentiel.
Anne Talvaz, poème inédit, extrait de
Confessions
d'une joconde
Anne
Talvaz dans Poezibao :
Bio-bibliographie, extrait
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