Je voulais que mes doigts
de poupée pénètrent dans les touches. Je ne voulais pas effleurer le clavier
comme une araignée. Je voulais m'enfoncer, me clouer, me fixer, me pétrifier.
Je voulais entrer dans le clavier pour entrer à l'intérieur de la musique pour
avoir une patrie. Mais la musique bougeait, se pressait. Quand un refrain
reprenait, alors seulement s'animait en moi l'espoir que quelque chose comme
une gare s'établirait ; je veux dire : un point de départ ferme et sûr ; un
lieu depuis lequel partir, depuis le lieu, vers le lieu, en union et fusion
avec le lieu. Mais le refrain était trop bref, de sorte que je ne pouvais pas
fonder une gare puisque je n'avais qu'un train un peu sorti des rails, qui se
contorsionnait et se distordait. Alors j'abandonnai la musique et ses trahisons
parce que la musique était toujours plus haut ou plus bas, mai non au centre,
dans le lieu de la rencontre et de la fusion. (Toi qui fus ma seule patrie, où
te chercher ? Peut-être dans ce poème que j'écris peu à peu.)
Alejandra Pizarnik, extrait de "Figures du
pressentiment", in l'Enfer musical (1971), Œuvre poétique, traduction de Silvia Baron Supervielle, Actes Sud,
2005, p. 229
Alejandra Pizarnik dans Poezibao :
extrait
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