Renaître avec le monde,
naître ave lui…Que de vagabonds, que de sentinelles à travers les siècles ont
connu silencieusement ce quotidien miracle ! Mais c'est en juin peut-être qu'il
atteint ici sa toute plénitude, sa toute pureté. Annoncé par un chant
d'alouettes très haut perdues et cette sorte d'aérien malaise, de pâlissement
du ciel, cette transparence à son flanc où le regard peu à peu s'attache, et le
coup d'aile aussi du vent d'aube glacé, il y a soudain un suspens universel
d'une seconde à peine, un instant indicible où l'on ressent autour de soi le
monde. Le monde déjà surgi de son sommeil, mal séparé de l'ombre, et qui attend
d'être, immobile, silencieux, lourd de tout son poids terrestre, frémissant de
tout ses feuillages, prêt à luire de toutes ses rosées dès que cette flaque
d'or par un invisible rayon fomentée au creuset d'azur des montagnes jaillera
le nouveau soleil. Instant où une interrogation profonde envahit l'âme :
"Ce monde va-t-il retrouver son visage d'hier et sa fatigue, rentrer
docilement dans l'ornière temporelle sous un soleil tout de suite vieilli ? OU
va-t-il demeurer pur comme à cette seconde où il respire au bord même de l'être
dans sa jeunesse éternelle, et redevenir ce qu'il fut jadis, à l'aube des temps
: le Jardin ?" Vertige du possible ! Il se creuse lentement jusqu'à
l'angoisse, mais la fatigue enfin l'endort et sommeil triomphe.
Gustave Roud, extrait de Halte en juin publié en 1942, cité in Gérard Titus-Carmel, Gustave Roud, Une solitude dans les saisons, Jean-Michel Place Poésie, 2005, p. 72.
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