Si je transforme quelque peu le début de cet
article intitulé « la Littérature algérienne face à la langue : le
théâtre de Kateb Yacine1 »
en effectuant quelques substitutions, j'obtiens quelque chose qui me satisfait
pleinement pour mener une réflexion :
il s'agit, sur le débris d'une communauté qui échappe in extremis au désastre
et à la dislocation totale, de tenter de créer de toutes pièces un nouveau
sujet collectif, quelque chose comme une entité. Créer ou recréer un terrain,
c'est définir quelque chose comme une caractéristique commune. Et toute
décision, tout engagement à ce niveau est une question de vie ou de mort.
Il est nécessaire de reterritorialiser, certes, mais à partir de quels
éléments ? A partir de la mémoire populaire ? Du folklore ? De la
tradition ? En fait, aucune de ces instances ne porte en elle assez de force et
de cohésion pour permettre un ancrage. En plus, croire en la possibilité d'une
reterritorialisation par le folklore, la tradition, la religion..., ce serait croire
à l'existence d'une norme ou d'une essence du peuple que les x années de
capitalisme n'auraient absolument pas entamées; ce serait croire aussi qu'il
suffirait de balayer les « séquelles » de cette emprise pour
retrouver tel quel « l'esprit du peuple » et celui de liberté,
caractéristique essentielle fondé lors de la révolution française.
Or évidemment ni cette essence, ni cette force, n'existent à l'heure actuelle.
A quelle normale peut-on revenir, si ce n'est à tout les aspects fugaces d'un
univers aboli pour l'essentiel et dont il reste des témoins folkloriques
trompeurs qui restituent le passé dans sa nostalgie inopérante ? Ce qu'il faut
avant tout assurer, c'est la continuité d'un passé relié au présent par des
faits sociaux et culturels nouveaux, par des actes tangibles et sûrs de
résurrection plus que de survie. Si quelque chose comme un
« caractère » commun existe donc bien, c'est là un objectif à atteindre en constante
dialectique avec ce qui reste de vivant et d'actif dans le passé.
Ceci dit, il reste que, même posé de cette manière, les questions ne sont pas
très claires et les problèmes demeurent abstraits : car qu'elle se fasse par le
folklore, le passé, la tradition ou n'importe quoi d'autre, la reterritorialisation
d'une culture spécifique authentique doit d'abord avoir résolu le problème du
médium ou de la médiation à partir desquels elle devra - ou pourra - se faire : dans quelle langue
écrire ? En quels lieux ? A quel moment ? Ce sont des problèmes aussi concrets
et vitaux qui expliquent l'acuité des tensions, contradictions ou difficultés
que rencontre tout artiste qui est poussé par l'appel d'un cri intérieur :
écrire est une question de vie ou de mort, car chacun de ses gestes, chacun de
ses choix est fondateur. Il s'agit dans tous les cas de constituer le terrain
et dans le labyrinthe des langues et des langages de trouver toujours et à tout
prix au moins une issue : comme un animal, baliser son territoire, et comme
le dit Gilles Deleuze et Félix Guattari dans Kafka. Pour une littérature mineure : « Écrire comme un chien qui fait son trou ». Et pour cela
trouver son propre point de sous-développement, son propre patois, son
Tiers-monde à soi.
Ce sont les conditions concrètes qui expliquent le mécanisme complexe qui
atteindra les objectifs d'une renaissance : être le médium vital qui permettra
à un peuple de se reconnaître dans un caractère commun, comme une identité dans
la diversité des langues et des cultures, comme une unité dans la multiplicité
des moeurs, enfin comme une solidarité active dans la disparité des villes et
des campagnes.
(Le débat est évidemment à continuer...)
1. Reda Bensmaia dans Littératures du Maghreb, Volume 4-5,
coll. « Itinéraires et contacts de
culture », éd. de l'Harmattan, fév. 1984.
©Alain Marc
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