J'aime bien rendre à
César ce qui….donc je remercie Pierre Le Pillouër qui a attiré mon attention,
personnellement et via
son site, sur ce livre.
Ensuite, je veux rendre hommage à Inês Oseki-Dépré (et à son éditeur, Al Dante
!) à double titre : pour avoir déjà tant et si bien œuvré pour introduire
l'œuvre de Haroldo de Campos, cette grande figure de la poésie brésilienne en
France et aussi pour le tour de force que représente sans aucun doute la
traduction d'un tel auteur.
Car de qui s'agit-il ici ? Haroldo de Campos (1929-2003), brésilien, (plus de
détails ici)
a fondé avec son frère Augusto de
Campos et Décio Pignatarile le groupe Noigandres, lequel quelques années plus
tard allait être à l'origine du mouvement de la poésie concrète au Brésil, une
poésie qui a eu pour but d'inventer de nouvelles formes poétiques. Haroldo de
Campos fut non seulement poète, jouant un rôle fondamental dans l'histoire de
la littérature en tant qu'instigateur et porte-parole emblématique de ce
mouvement mais aussi penseur et traducteur et à ce titre élément moteur d'un
renouveau de la culture brésilienne.
En fait rapidement l'œuvre des poètes concrets brésiliens "a atteint une
dimension internationale : projet global d'échange, de découverte, d'alliance
entre la tradition et la nouveauté"1, H. de Campos disant
lui-même que "toute poésie digne de ce nom est concrète, d'Homère à Dante,
de Goethe à Pessoa. En termes plus spécifiques la «poésie concrète» représente le cas limite de la poésie, dans lequel il existe une
systématisation totale de tous les niveaux – sémantique, syntaxique,
rhétorique, sonore – du mot".
Excellent théoricien et essayiste, Haroldo de Campos a surtout su traduire
magnifiquement ses idées (et notamment cette "systématisation de tous les
niveaux" à laquelle il fait allusion) et l'anthologie que présente ici
Inês Oséki-Dépré semble très emblématique de l'inventivité du poète et de son
incroyable capacité de renouvellement qui m'a fait penser à celle d'un Picasso.
Car construite chronologiquement, l'anthologie fait voyager le lecteur de
recueils en recueils et d'extraits en extraits, le déstabilisant chaque fois
qu'il se croit installé dans un quelconque confort, le poète explorant, le plus
souvent de façon magistrale, une nouvelle voie ! Si bien qu'on a l'impression
de passer en revue toutes sortes d'écoles ou de tendances de la poésie moderne,
mais sans que soit jamais rompue la
cohérence, fortement sous-tendue d'une sorte d'ironie, de l'ensemble.
L'invention verbale est souvent époustouflante (mais le sens reste présent), la
mise en page explore diverses voies, et dans le même temps, le poète
"renoue, symboliquement et poétiquement, la relation avec le versant
textuel ibérique [...] en d'autres termes, il établit la connexion avec la
période culturelle baroque"2
Particulièrement exemplaire de l'art de Campos, les Galaxies, que la traductrice a publiées dans leur
intégralité à La Main courante, la Souterraine et dont elle donne ici trois
extraits "Galaxies, «livre d'essais» élaboré pendant treize années. Livre de voyage et de voyages,
voyage-livre, où sont abolies les frontières entre prose et poésie : les 50
textes qui le composent [...] forment le journal de bord, non du poète mais de
la poésie, sorte de parcours épico-épiphanique dont les limites sont
l'Univers"3
Une découverte très importante donc pour le lecteur français qui n'aurait
pas été mis en contact avec Haroldo de Campos via les revues, souvent d'avant-garde (notamment Change et Banana Split),
qui ont su très tôt lui donner sa juste place. Une très belle introduction dont
on espère qu'elle portera le public tant vers les livres déjà édités (Galaxies, Yugen, l'Éducation des cinq sens
dont on peut lire un extrait ici)
que les éditeurs vers les essais, les autres œuvres de création, les
"transcréations" (traductions) de Campos n'étant accessibles bien sûr
qu'aux lecteurs du portugais.
©florence trocmé
Fiche bio-bibliographique
avec notamment les livres disponibles en français.
Extrait (je conseille de le lire à haute voix)
Galaxie 1
et ici je commence et ici je me lance et ici j'avance ce commencement
et je relance et j'y pense quand on vit sous l'espèce du voyage ce n'est
pas au voyage qu'il tient mais au commencement du et pour ça je mesure et
l'épure s'épure et je m'élance écrire millepages mille-et-une pages pour en
finir avec en commencer avec l'écriture en finircommencer avec l'écriture
et donc je recommence j'y reprends ma chance et j'avance écrire sur l'écriture
est le futur de l'écriture je surécris suresclave dans les mille et une
nuits les mille et une pages ou une page dans une nuit ce qui se ressemble
s'assemble pages et nuits se miment s'ensoimêment où le bout c'est le début
où l'écrire sur l'écrire c'est non-écrire sur nul-écrire et pour ça je commence
je démence pur le décommencement et [...]4
1. Haroldo de Campos, une anthologie, Al Dante 2005, préface d'Inês
Oseki-Dépré, p. 10
2. ibid, p. 12
3. ibid p. 14.
4. ibid p. 137
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