J'ai entendu ce poème de Marie-Florence Ehret lors de sa contribution à la soirée
Printemps des Poètes du Grand
Parquet. C'est un inédit, à paraître dans son recueil L’Or des jours qui sortira
en juin 2006 aux Éditions Dumerchez et elle a bien voulu me le confier pour Poezibao ce dont je la remercie
chaleureusement
Nous vivons dans un monde que la poésie
elle-même a travaillé à désenchanter. Dépouillée de ses oripeaux usés, la
nature nue n’en est que plus enchanteresse - le poème alors est un miroir tendu
au vide dans lequel le poète voit miroiter l’or des jours, paillettes
virtuelles que la langue révèle.
Marie-Florence Ehret
L’or des jours
On a chanté la ville ses éclats
de voix de lumière de rire
on a chanté ses peuples
ses cours ses miracles
le tremblement de l'eau
de l'oiseau ou de l'herbe
la lente sauvagerie végétale
la Beauté de tout bord
et on l'a injuriée.
On a chanté les labyrinthes
où se perd le chanteur
qui se cherche et se plaint
le moi ses mille et un mensonges
ses manies ses petites morts
et sa langue mielleuse
l'intervalle divin du silence
le soupir dans lequel s'épanouit
le sourire du bouddha
Tous les chants sont usés
mis en boite
en cubes en disques en vers
réduits développés chiffrés
déchiffrés
criés balbutiés éructés
ânonnés
archivés
reste
l'enfantine la claire
l'obscure
nécessité de chanter
chaque instant veut l'éternité du chant
Je chanterai l'olivier stérile
penché sur l'abîme aux pentes vertes
je descendrai
entre les châtaigniers
les chênes,
les ronces
les
bouleaux
et tous les entrelacs végétaux
anonymes
unis pour entraîner les anciennes terrasses de pierre
que les hommes d'autrefois avaient maçonnées de leur sueur
j'irai jusqu'au cours d'eau
qui ne voit jamais le soleil
Je chanterai le cocotier velu
ses palmes jaunissantes
sous sa tête verte
Je chanterai le figuier célibataire
un peu plus haut chaque année
ses fruits à peine formés qui
tombent au sol et je chanterai ses racines
qui préparent en secret
l'effondrement de la maison
je chanterai le pêcher frêle
que ses quatre pêches épuisent
le laurier sombre et parfumé
qui descelle pierre à pierre l'ancien mur
je chanterai le rosier survivant
sans fleurs sans feuilles
branche sèche dans la terre
lançant dans le ciel
de jeunes tiges vertes
hautes et presque nues
la sauge nouvelle
lentement jaillie
d'un pied qui paraît mort
le citronnier en pot
qu'on rentre pour l'hiver
je chanterai aussi
le bourdonnement des insectes
la chute brutale et prématurée d'une figue
je chanterai le chant
des oiseaux leurs pépiements
leurs gazouillis leurs cris leurs croassements
le chant des cigales
le chant du vent
le saut du chat dans l'herbe sèche
et tant pis si nos bras
sont trop petits les mots
trop rares trop
pauvres pour embrasser
l'étendue et la multiplicité
d'une seule seconde
de perception
même si
mon chant passe aussi vite
que ce qu'il chante
même si
nul ne l'écoute jamais
même si
je dois chanter sans bouche
sans voix sans art
sans mot presque
je chanterai
chaque aujourd'hui
Marie-Florence Ehret, poème inédit, recueil L'or
des jours, à paraître chez Dumerchez en juin 2006.
Marie-Florence Ehret dans Poezibao :
Note
bio-bibliographique,
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