Pour saluer la parution
d'une nouvelle édition des Poésies complètes de Blaise Cendrars, dans la
collection Poésie / Gallimard, ce volume étant destiné à remplacer les deux
tomes parus dans la même collection en 1967 et 1968. Il reproduit la dernière
édition revue par l'auteur en 1957 et y ajoute un certain nombre de poèmes
retrouvés. Cette édition établie par Claude Leroy qui signe une introduction
(en plus de la préface de Paul Morand) est enrichie d'une biographie
chronologique détaillée et d'un important appareil de notes.
Et pourtant, et pourtant
J'étais triste comme un enfant
Les rythmes du train
La moelle chemin-de-fer1des psychiatres américains
Le bruit des portes des voix des essieux grinçant sur les rails congelés
Le ferlin2 d'or de mon avenir
Mon browning le piano et les jurons des joueurs de cartes dans le compartiment
d'à côté
L'épatante présence de Jeanne
L'homme aux lunettes bleues qui se promenait nerveusement dans le couloir et
qui me regardait en passant
Froissis de femmes
Et le sifflement de la vapeur
Et le bruit éternel des roues en folie dans les ornières du ciel
Les vitres sont givrées
Pas de nature !
Et derrière, les plaines sibériennes le ciel bas et les grandes ombres des Taciturnes3
qui montent et qui descendent
Je suis couché dans un plaid
Bariolé
Comme ma vie
Et ma vie ne me tient pas plus chaud que ce châle
Écossais
Et l'Europe toute entière aperçue au coupe-vent d'un express à toute vapeur
N'est pas plus riche que ma vie
Ma pauvre vie
Ce châle
Effiloché sur des coffres remplis d'or
Avec lesquels je roule
Que je rêve
Que je fume
Et la seule flamme de l'univers
Est une pauvre pensée….
Blaise Cendrars, Prose du
Transibérien et de la Petite Jeanne de France, in Du monde entier au cœur du monde, poésies complètes, nouvelle édition en un seul volume dans la collection
Poésie / Gallimard, préface de Paul Morand, édition établie par Claude Leroy,
2006, p. 49.
N° 421, 432 p. 8, 50 €
1. Moelle chemin-de-fer : selon Christine Le
Quellec Cottier, cette expression énigmatique vient de Max Nordau (1849-1923)
médecin et écrivain hongrois. Dans Dégénérescence (Alcan, 1894), il traduit par « moelle épinière-chemin de fer » l'expression anglaise railway-spine qui
désigne les effets néfastes de la civilisation moderne sur le système nerveux.
2. Le ferlin est une monnaie ancienne
3. Il
s'agit sans doute des forêts sibériennes réputées «taciturnes »
Bio-bibliographie
de Blaise Cendrars
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