Selon le fécond principe
de la collection de poésie de l'éditeur Jean-Michel Place, un poète parle d'un
autre poète et c'est Gérard Titus-Carmel, peintre et poète qui se penche ici
sur Gustave Roud, poète et photographe. Dans ces petits ouvrages d'un peu plus
d'une centaine de pages l'autre règle est que la partie anthologique est
précédée d'un court essai, tentative d'approche de l'œuvre célébrée.
Une solitude dans les
saisons
C'est un beau texte que
donne Gérard Titus-Carmel, sorte de méditation sur l'œuvre de Gustave Roud, lui
qu'il décrit "cherchant obstinément à rejoindre son centre dérobé en
lui-même" et "posté dans la pénombre de son être". Comme si
Titus-Carmel explorait la figure intérieure, très mélancolique, qu'il s'est constituée
à la lecture de Gustave Roud, "poète suisse né en 1897 dans le canton de
Vaux et mort soixante-dix-neuf ans plus tard à Moudon". "Une vie sans
histoire" dit-il, mais là
viendra pourtant le seul reproche que je fais à cet essai : passer me
semble-t-il sous silence l'homosexualité de Roud. Qu'on m'entende bien, il ne
s'agit pas ici de gloser sur la vie intime du poète mais il m'a semblé, lisant
les textes choisis pour ce livre, regardant les magnifiques photos de Roud
présentées ici, que cette vérité jouait un rôle fondamental dans l'œuvre de
Roud.
Wanderer définitif
Le portrait dressé par
Titus-Carmel est à certains égards terrible par la dimension de solitude qui
entre dans la figure de Roud marquée par un "deuil inguérissable". :
"c'est moi-même avec moi-même jusqu'à l'aurore". Homme immergé dans
la nature qui n'aura quasiment jamais quitté sa région natale, où il a vécu à
l'écart du monde, attentif à la nature et aux travaux des champs, observant,
écoutant, arpentant le paysage alentour en "interminables marches solitaires"
et photographiant. Car les deux artistes se rejoignent aussi ici et le peintre
Titus-Carmel parle très bien de l'art photographique de Roud. Le texte donne le
sentiment d'avancer toujours plus avant dans la solitude de Roud "que
faire, dès lors, quand la voix s'amuït à ce point qu'elle touche presque la
mutité absolue", "mémoire enclavée dans le périmètre de ce paysage du
Jorat, lieu élu d'une présence-absence qui se clôt sur l'impossible accord de
l'être et du monde".
Il ne reste plus alors
qu'à entrer dans la partie anthologique où l'on découvre, si on ne les connaît
pas encore, quelques-uns des plus beaux textes de Gustave Roud. Et à
contempler, car c'est ainsi qu'il faut les regarder, la quinzaine de photos
choisies en contrepoint. On découvrira, secret mais présent, quelque chose d'un
espoir, vite assassiné : "parce que toute proche derrière le pire, une
présence parfaite transparaît, - le reflet de cette présence décelé dans les
enchaînements les plus simples de sons, de couleurs, de phrases, de minutes,
puis le désespoir dévorant implacablement toutes ces fugitives
prophéties…"
Ce livre aura joué
pleinement son rôle, donner envie de lire l'œuvre de Gustave Roud, éditée en
trois volumes à la Bibliothèque des Arts à Lausanne.
Gérard Titus-Carme,
Gustave Roud, une solitude dans les saisons,
jean michel place/poésie, 2005,
isbn 285 893 821 0, 11 €
sur la collection Poésie
de Jean-Michel Place, déjà riche de vingt-trois numéros, voir
ici
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