"A travers son inlassable lutte contre l'absence, l'écriture nous restitue la fragilité du monde et devient une invitation à l'habiter pleinement"1
Dire aussi la joie de
voir un grand prix de poésie, le Prix Mallarmé, couronner Hélène Dorion.
Car oui, hier soir, au Centre
Culturel Canadien, rue de Constantine à Paris, remise du prix Mallarmé à Hélène
Dorion présente en France avec plusieurs autres poètes de son pays, Nicole
Brossard ou Claude Beausoleil par exemple. Une Hélène Dorion accueillie avec
ferveur et respect par les membres de l'Académie Mallarmé, Sylvestre Clancier,
Paul Sabourin, Claude Beausoleil, Max Alhau, Maurice Lestieux. Célébration
unanime et tendre d'une femme et d'une œuvre exceptionnelle. Elle récusera ce
dernier mot, sa poésie le récuse tant la simplicité les habite toutes deux. Une
simplicité entée sur la profondeur, hantée par le mystère, à l'exact point
nodal entre sombre et clair, vie et désespoir, source et sécheresse, lumière et
ombre, fenêtre et mur.
Célébration unanime et
tendre
De cette œuvre, je sais
déjà que Poezibao parlera, souvent.
Mais il faut ici rendre compte de cette soirée du 9 mars. Dire la belle
présentation de Sylvestre Clancier, montrant l'ancrage d' Hélène Dorion dans la
poésie de son pays, parmi ceux qui sont "à côté, devant ou derrière",
exprimant par là l'implication de la poète dans la diffusion de la poésie du
Québec, ses rapports étroits avec ceux qui l'ont précédée, ceux qui sont de sa
génération et ceux qui la suivent. Le prix Mallarmé, dit Sylvestre Clancier,
honore à travers Hélène Dorion toute cette poésie québécoise contemporaine.
Puis il évoque l'œuvre et égrène la liste des livres parus, impressionnante, 15
livres, 15 titres magnifiques depuis L'intervalle prolongé de 1983 jusqu'aux deux livres parus tout récemment
à la Différence, poèmes de Ravir : les lieux et essai Sous l'arche du temps.
Paul Sabourin parlera,
lui, de l'apparent paradoxe sur lequel
repose la poésie d'Hélène Dorion qu'il décrit comme un poète de la condition
post-moderne, écrivant une poésie ontologique – dans sa simplicité qu'il
souligne lui aussi – et qui touche au
plus profond. Je le remercie de donner une perspective à l'ensemble de l'œuvre
en la disant en développement à chaque nouveau recueil. Poète, il répond à
cette œuvre qui le touche par trois beaux poèmes de sa main : "il s'agit d'alléger le poids du monde
douloureux".
Chemin de réflexions
C'est ensuite au tour du
compatriote d'H. Dorion, Claude Beausoleil, de la célébrer (il me semble que
rarement le mot célébrer aura été aussi justifié qu'hier soir et ce ne fut pas
un des aspects les moins émouvants de cette soirée qui laisse derrière elle un
sillage de lumière et de ferveur). Belle note de lecture du livre Ravir :
les lieux : ses "ombres par
couches successives", la reprise des motifs, leur glissement à travers les
pages, "la langue en signes de vie innombrables". Mais aussi son
"horizon d'énigmes", ce lieu d'approche du tremblement, ce
"chemin de réflexions" chez celle qui dit superbement « l'écriture ne cesse de m'apprendre à aller vers
le doute ». Prise dans une
"contemplation active du multiple," elle n'est ni du côté du jeu ni
de celui du je, mais d'un "je et eux" avec la présence au cœur même
de l'œuvre d'Héraclite, Virginia Woolf, Goethe, Rilke et de figures plus
anonymes, le puisatier, le lieur, le menuiser, etc. Claude Beausoleil replace à son tour l'œuvre dans le contexte
d'une poésie québécoise dont il donne trois grandes caractéristiques :
l'introspection ("nommer l'intime") ; la très grande importance de
l'écriture des femmes ; le fait que la plupart des poètes écrivent
simultanément ou en alternance prose et poésie (Anne Hébert, Nicole Brossard,
Élise Turcotte, etc.)
Maurice Lestieux2
souligne les rapports étroits qu'Hélène Dorion entretient avec la peinture et
la musique et la richesse de pensée qui est à la source de sa poésie, tandis
que Max Alhau la décrit en "veilleur attentif à l'invisible" et
évoque la générosité d'une poète qui œuvre à la réconciliation de l'être et
d'un monde bouleversé. Hommage sera
rendu aussi aux éditeurs d'Hélène Dorion, les canadiens bien sûr, Noroît en
particulier mais aussi les français et notamment le Dé bleu qui l'a publiée
pour la première fois en France dès 1990 et La Différence qui est devenu
aujourd'hui son éditeur principal.
Et puis au cœur de ces
hommages et de la rencontre, la lecture par Hélène Dorion de larges extraits de
Ravir : les lieux. Là aussi
un moment très fort et une émotion induite par l'alliage d'une totale
simplicité dans la façon d'être et de se présenter, d'une voix magnifique qui
s'engramme pour longtemps dans la mémoire et demeurera dorénavant en filigrane
dans toute lecture de ses livres et de la profondeur, impossible à cerner, de
ses textes : "tout ce qui est advenu brûle encore".
Cette soirée dense inclura
également une belle lettre du président de l'Académie Mallarmé, Lionel Ray,
puis un moment de rencontre informelle qui permettra d'éprouver encore la
chaleur des poètes canadiens présents et des membres de l'institut culturel
canadien qui nous reçoivent.
Des œuvres à découvrir
Fort de tous les contacts
noués hier, Poezibao s'attachera au fil des mois à donner toute sa place à l'œuvre d'Hélène
Dorion mais aussi des autres poètes canadiens d'aujourd'hui dont la voix me
semble à la fois universelle et essentielle par sa spécificité : "Vision
singulière du monde capable de secouer nos certitudes, de nous ébranler, de
susciter l'émoi, c'est-à-dire de nous mettre en mouvement, un mouvement
véritable, qui n'est pas vaine agitation mais avancée profonde. Ainsi, peut-être
la poésie est-elle également un lieu possible de métamorphose de l'être" 1
Ces mots d'Hélène Dorion
dans un de ses derniers livres parus, je peux les appliquer terme à terme à la
rencontre magnifique d'hier soir. Qu'elle en soit remerciée !
©florence trocmé
1 Hélène Dorion, sous l'arche du temps, essai, Éditions de la Différence, 2005
Hélène Dorion, Ravir :
les lieux, poèmes, Éditions de la Différence, 2005
2. Je rappelle que Maurice Lestieux et Sylvestre
Clancier dialogueront avec Hélène Dorion ce samedi
11 mars à la brasserie Lipp
Pour le prix Mallarmé, je
renvoie à Terres
de Femmes qui en dresse l'historique et propose un poème d'Hélène Dorion
Poezibao publiera dans les jours qui viennent la bio-bibliographie de la poète et
un premier extrait dans l'anthologie permanente, ainsi qu'une fiche de lecture
de Ravir : les lieux
Photos ©florence trocmé, de haut en bas, Hélène Dorion, Sylvestre Clancier, Paul Sabourin, Claude Beausoleil, Maurice Lestieux, Hélène Dorion.
Rédigé par : Joanne Dorion | dimanche 12 mars 2006 à 00h11