Je remercie André Ughetto qui m'a transmis ce poème
de Wislawa Szymborska.
DE LA PORNOGRAPHIE
Il n'est pire débauche que la pensée.
Livrée à ses ébats elle prolifère comme la mauvaise herbe
sur les plates-bandes des pâquerettes.
Pour ceux qui pensent, rien n'est sacré.
L’impertinence d'appeler un chat un chat,
le libertinage des analyses, l'obscénité des synthèses,
la chasse sauvage à la vérité nue,
le tripotage lubrique de questions délicates,
l'accouplement des points de vue - c'est leur marotte.
En plein jour ou à la nuit tombée
ils forment des couples, ménages à trois, petits cercles.
Peu importe le sexe et l'âge des partenaires.
Ils ont les yeux brillants et les joues empourprées.
Ici l'ami déprave l'ami.
Des filles dénaturées débauchent leur père.
Le frère pousse sa sœur à la luxure.
Pour eux, le fruit défendu
de l'arbre de la connaissance
n'a pas le même goût que la chair rose des magazines illustrés,
pornographie innocente somme toute.
Les livres qui les amusent n'ont pas d'images.
Seule diversion - une phrase
particulière
soulignée du doigt ou au crayon.
Horreur des postures dans lesquelles
avec une simplicité si débridée
l'esprit parvient à engendrer l'esprit !
Même le Kama-Sutra n'en connaît pas de telles.
A ces petits rendez-vous on ne fait - que du thé.
Les gens sont assis sur des chaises et remuent les lèvres,
jambes croisées chacun pour soi.
De la sorte un pied touche le sol,
l'autre se balance librement.
De temps en temps seulement quelqu'un se lève,
va a la fenêtre
et scrute la rue
à travers les rideaux.
Wislawa Szymborska, Dans le fleuve d’Héraclite, traduction Isabelle Macor-Filarska, Maison de la Poésie Nord/Pas
de Calais, 1995, p. 179
Wislawa Szymborska dans Poezibao :
Bio-bibliographie,
extrait
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Rédigé par : lheurebleue | vendredi 21 avril 2006 à 20h18
Rédigé par : lheurebleue | vendredi 21 avril 2006 à 11h24