Un livre découvert à 22 ans peut être le compagnon d'une vie. Même égaré, à la faveur de quelque déménagement hâtif, ou d'un prêt confiant « lis ce livre, c'est magnifique » (qu'en sait-on, par la suite, de cette beauté entrevue, sinon qu'elle fut beauté ?) ou de son insertion délibérée ou distraite dans une bibliothèque associative de Haute Provence... Égaré, puis redécouvert dans une caisse de livres soldés, hors d'âge, trente ans plus tard. Alors la joie, sur ce quai de Joigny, en bord d'Yonne, face aux immenses reflets d'une redécouverte ou double rencontre qui, comme un sortilège, semble joindre les deux infinis du temps. – Aujourd'hui, je vois mieux les contours de cette chose surprenante, les limites peut-être aussi de ce livre (dans sa ferveur révérentielle, ses certitudes de fruit). Mais la beauté demeure. Et la reconnaissance.
©Jean-Marie Perret.
Né en 1927, Bernard Collin fut proche de Michaux, de Dubuffet, de Des Forêts, de Deledicq, familier avec eux de ce qu'on pourrait appeler un "cercle", autour de Pierre Bettencourt qui, en 1960, imprime sa première publication Centre de vous. Ces poèmes formeront les parties I et II du livre (qui en compte douze) que publiera L'inédit 10/18 (UGE) en 1965 : Les milliers, les millions et le simple (réédité par Ivrea en 1999).
Il est l’auteur notamment, outre de Centre de vous (Pierre Bettencourt, 1960) et de Les milliers les millions et le simple, (U.G.E. 10/18, 1965 ; nouvelle édition : Ivrea, 1999), de Perpétuel (Christian Bourgois, 1969) ; Sang d’autruche (Mercure de France, 1977) ; Besbion oros (Parler net, 1984), Premiers pas sur la terre radieuse (Fata Morgana, 1984) ; Ambakoum (Fata Morgana, 1985) ; 22 lignes par jour et il sort de sa pensée (Fata Morgana, 1988) ; Wols avec une loupe (Fourbis, 1990) ; Picti libri (La Sétérée, 1991) ; Une espèce de peau mince (Michel Chandeigne, 1995) ; Perpétuel voyez Physique (Ivrea, 1996) ; Les globules de Descartes (Ivrea, 2004).
3 extraits de Les milliers les millions et le simple , 1ère partie
Qui abaisse l'oiseau, l'oiseau de neige ? Et je verrai l'oiseau s'abattre sur lui, si l'oiseau le renverse, le fait tourner; et s'il tourne de plus en plus ensommeillé, de plus en plus votre charogne, sous une pluie de becs.
La plume ferait un bruit de langue d'enfant. Chaque herbe aurait son puits, chaque pas sa lieue de mer. Le souffle de l'homme est la mesure des vents. A chaque main, sous chaque feuille de mousse une fontaine. Car je vois la lumière, naufrage et course confondus, brûlant les yeux séchés au fond des yeux. Le circaète est un oiseau sans ruse, et nul désir ne protège mes yeux. Je vois les algues du lentisque et l'eau courir entre ces millions de regards. Je vois mon corps couvert d'ailettes et de membranes ; l'oiseau se penche sur ma main et boit : ma peur est devenue une très petite fille. Car j'entre en mer, j'entre dans cette encoche d'herbe, et rien ne peut plus te combler.
Tout sera noir quand je serai pris, votre main sera le piège, et votre main descend, et la main se referme. Immobile, et je devrais courir, et je regarde la main descendre. Immobile comme l'oiseau posé sur votre poing. L'oiseau le plus aveugle, et tout n'est pas noir, tout ne sera jamais assez noir pour que je voie la chasse sur les étangs de Dieu. Quand tout sera noir je serai pris, posé sur l'eau de l'Océan, et je contourne votre main. Quand tout sera noir, quand l'homme aveugle, quand je ne verrai plus la porte à l'entrée de l'eau.
Un autre extrait de Les milliers les millions et le simple, 1ère partie
Eau, quelle eau te force à te jeter ? Cherchant qui recouvrir, eau déjà souterraine et que le sang recouvre ; eau qui te reformes et te partages. Combien de gouttes pour incliner la terre et reprendre aux hommes la terre qu'ils t'auront prise? Car tu es partout le sommet, en chaque point que tu portes : rien ne pèse sur toi. Eau qui ne sais ni jaillir ni geler, c'est moi qui te poursuis. Si haute et si près d'être abîme, eau qui hésites, eau trop longue à te baisser, si droite et si peureuse. Eau, pour qui t'en défendre? eau faite pour tomber. Eau si fine, eau étroite, qui te force à courir au lieu d'aller comme une pierre qu'on lance. Eau, que ton corps est blanc ! combien de plumes à tes ailes? eau, si tu replies tes ailes, si tu meurs au sommet sans plumes, eau, quelle eau te force à te jeter ?
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