Marc Delouze, en ses Parvis poétiques, a adopté le
parti de toujours présenter deux poètes en même temps. Jouant sur les
résonances, les affinités ou les oppositions, il organise ainsi environ une
fois par mois une rencontre poétique toujours passionnante dans ce lieu
privilégié qu'est le fond'Action Boris Vian, dans le XVIIIe arrondissement à
Paris.
Hier soir, dimanche 23 avril 2006, fort était le contraste entre Fabienne
Courtade et Jacques Rebotier. Contraste entre les œuvres, contraste entre les
poètes.
Avec Fabienne
Courtade, une œuvre qui semble arrachée mot à mot à l'impossibilité de
dire, d'être, d'exister, d'utiliser les mots de la langue pour tenter
d'exprimer ce qui se dérobe. La poète manifeste aussi, dans sa voix, dans sa
profération quasi voilée, la difficulté de l'exercice de dire cette poésie – en partie inédite – devant le public des
Parvis : "je suis privée de mots
pour tout ce qui passe à vive allure" dit-elle ajoutant "bouche
ouverte, tente de retrouver un peu d'air et même cela je ne l'espère pas".
En leitmotiv insistant, tout le registre de la négation : ne, pas, non,
"rien, pas de mots, le silence ne bouge plus". Poésie de
l'empêchement, qui est aussi de l'impossibilité de l'amour, traces d'une lutte
terrible, d'un enfermement toujours latent, le "sans fenêtre sans
ouverture" où même le ciel emprisonne "l'air est éblouissant comme
une fosse".
Alors oui, quel contraste avec Jacques Rebotier.
Même si une certaine forme de déstabilisation se retrouve, identique, à
l'écoute de l'un et l'autre poète. Jacques Rebotier extrait d'un grand sac noir
un immense livre rouge qu'il présente comme une encyclopédie retrouve, une Description de
l'omme (sic), qui aurait été rédigée par une libellule ethnologue
ou un escargot paranoïaque (auto-portraits ?).
L'auditeur pénètre alors dans une zone incertaine. Qu'est-ce que c'est que ce
livre, qui a toutes les apparences de ce que Jacques Rebotier dit qu'il est ?
Et qui, pourtant… ? Le poète, déguisé en faux et docte encyclopédiste, énumère
les têtes de chapitre, proposant à l'assemblée de choisir tel ou tel sujet.
C'est alors plongée dans un univers parodique, parodie d'encyclopédie on l'a
dit, mais aussi d'une certaine forme de savoir et plus encore de la
présentation qui est faite de ces savoirs. Tout y est, la classification
décimale avec ses sous, sous, sous-sections, 5, 5.1, 5.1.1. etc. mais surtout
la langue pompeuse, lourdement déductive, bourrée de chevilles, de clichés et
de lieux communs. Force est de reconnaître que c'est désopilant. Mais en même
temps, sous l'encyclopédie, une réflexion profonde et in fine la poésie ! Avec un
montage très subtil d'inserts dans la prose parodique d'aphorismes
(faussement ?) métaphysiques, de petits éclats de poésie, le tout
orchestrant, mettant en évidence une très profonde contestation du
fonctionnement du monde tel qu'il est et en particulier de son aberration et de
son iniquité économiques.
Commentaires