La salle, très
confortable, du centre culturel canadien, à Paris, se remplit petit à petit.
Sur l'écran, une image énigmatique, un enchevêtrement de lignes que l'on peine
à déchiffrer (l'énigme se résoudra un peu plus tard).
Il y a là Jean Fredette, le directeur du centre culturel
canadien et Jean-Philippe Raîche (photo ci-contre), responsable, au centre, des Arts de l'écrit
et de l'écran (et lui-même poète). Pour accueillir l'écrivain Claude
Beausoleil, qui sera présenté à la fois par Jean-Yves Reuzeau, directeur du Castor
Astral où sont édités nombre de livres de Claude Beausoleil et en particulier
celui dont il lit des extraits ce soir Regarde, tu vois et Dominique Noguez, préfacier de ce recueil.
De l'humilité devant le
poème
Normalien, agrégé,
docteur en philo mais surtout écrivain, Dominique Noguez connaît de longue date
la littérature du Québec, puisqu'il a enseigné à Montréal au début de sa
carrière. C'est alors qu'il a rencontré Claude Beausoleil. Il exprime sa
"grande humilité" devant la poésie, ce "haut langage dont parlait Jean Cohen". Il décèle chez
le poète (en général) une sorte de sacralité qui le rend intimidant. Des deux
parties que comprend le livre Regarde, tu vois, il note qu'elle s'adresse à un "Tu" et choisit de s'attacher
surtout à la première, d'autant qu'il sait que Claude Beausoleil a choisi de
lire, ensuite, des extraits de la seconde séquence. De ces strophes courtes, il
dit "s'approcher comme on s'avance dans une forêt", car devant le
poème on est un peu "comme dans une pénombre". Il évoque la figure de
Dante mais pour dire que la forêt de Beausoleil (en raison de son nom ?) est
plus claire que celle du poète italien et qu'elle a un côté un peu énigmatique,
avec ses doubles et triples sens, sa musique. Il pointe enfin deux
caractéristiques importantes de l'œuvre, la place de la ville et celle du
Regarder/voir. "Regarde, conclut-il, si tu suis bien le poème, si tu es
humble devant le poème, tu verras".
Une impressionnante
expérience
Après la glose,
l'expérience ! Et c'en fut une, impressionnante, que d'entendre lire Claude
Beausoleil. Voix magnifique et don de mettre en scène son texte. Comme un
jazzman, il se donne un rythme, une scansion avant d'attaquer. Il entre à bras
le corps dans les mots, avec une diction parfaite, haletante, scandée/saccadée,
en adéquation avec le texte, une longue et superbe séquence-poème consacrée à
la figure de Jack Kerouac, appelé, invoqué, convoqué, dressé là devant nos yeux
en figure duelle, en alter ego du poète. Comme dans un morceau de musique, il y
a échauffement d' l'artiste, qui est de plus en plus dans le mouvement de son
écrit, qui s'y implique totalement, faisant comprendre à quel point le son, le
sens, le rythme, l'élan ont partie liée dans cette œuvre-là. "Tu répètes,
tu répètes, tu répètes", sorte de leitmotiv, structurant l'avancée, la
coulée du poème, revient sans cesse, lancinant, litanique, établissant le
climat.
La performance suscite
une salve très nourrie d'applaudissements (j'ai rarement entendu applaudir
ainsi à une lecture de poésie !).
Un film au fil
des mots
Deuxième temps de la
soirée, présentation d'un film d'une vingtaine de minutes. Il fait partie d'une
série en cours Au fil des mots, réalisation Sylvain Marotte, édition Teridan, sur les poètes québécois
contemporains. Claude Beausoleil s'y exprime sur sa poésie, sur sa vie
("je suis né dans un snack-bar"), son enfance dans un quartier
ouvrier de Montréal. Vers sept ou huit ans ses parents qui ont décelé chez lui
une aspiration particulière, achètent "à tempérament" une
encyclopédie Groslier, qui l'intéresse surtout pour le cadeau qui l'accompagne,
une série de six livres sur les pays du monde sur lesquels il va beaucoup
rêver. Et puis surtout, il découvre la poésie grâce à Emile Nelligan, un livre qui ne lui
appartient même pas et qu'il lit et relit des dizaines de fois entre 13 et 15
ans. Il entre alors au collège Sainte Marie, où il étudie Nelligan et où il a
comme professeur Hubert Aquin et où il assiste à sa première Nuit de la poésie,
en 1970.
Il dit aussi son
appartenance à la littérature québécoise et la fragilité de l'existence d'une
culture minoritaire francophone en Amérique du Nord. Il se dit "aux prises
avec une compassion pour notre culture dont je veux témoigner". Dans une sorte
de conversation libre, à bâtons rompus, coupée de quelques lectures de poème où
l'on retrouve son art de lire, il évoque aussi sa "marginalité"
garante de sa liberté et sa vie axée sur trois pôles, le Québec, le Mexique (il
est traducteur aussi de l'espagnol, notamment de Lorca) et la France, trois
pays reliés par le "désir d'écrire et de témoigner par l'écriture"
Au fil du film on aura découvert que l'image arrêtée sur l'écran pendant la
lecture était un gros plan sur les rails d'un aiguillage. Invite sans doute à
suivre Claude Beausoleil dans ses pérégrinations….
©florence trocmé
photos ©florence trocmé, de haut en bas, Claude Beausoleil, Jean-Philippe Raîche, Dominique Noguez, Claude Beausoleil et Jean-Yves Rezeau