Ayant eu vent de ce
scoop, Louise
Labé n'existerait pas, j'ai demandé à Angèle Paoli, éditrice de Terres de femmes, de bien vouloir
faire pour Poezibao une lecture du livre
de Mireille Huchon qui expose cette thèse. Je la remercie.
L’universitaire Mireille Huchon, seiziémiste chevronnée, vient de publier aux
Éditions Droz, un très savant et passionnant ouvrage dont l’intitulé attise
d’emblée la curiosité et l’intérêt du lecteur : Louise Labé, une créature de papier.
Louise Labé, « créature de papier » ? Ma première réaction a été la
stupéfaction. Sont venues ensuite la colère et la méfiance. J’enrage ! Quelle
fantaisie se cache derrière cette « cruellissime » invention ?
Louise Labé, la plus vénérée de toutes nos muses, n’aurait-elle donc pas
existé ? Ou plus exactement, aurait-elle existé autrement que par ses
sonnets ? Si elle n’est que « créature de papier », qui sont les
auteurs des poèmes que nous sommes accoutumés de lui attribuer ? Quels
noms se dissimulent derrière celui de la poétesse lyonnaise ? Qu’y a-t-il
au cœur de cette énigme ?
L’auteur de cette étude étant une femme, je ne parviens pas à imaginer que cet
ouvrage puisse être le fruit d’une entreprise délibérément misogyne. Et que
Mireille Huchon, dont le sérieux, mais aussi l’autorité et l’honnêteté
intellectuelles ne font aucun doute, puisse s’attaquer, sans une argumentation
fondée, à une figure aussi emblématique que celle de Louise Labé. Il me faut en
avoir le cœur net. Et pour cela m’immerger dans l’enquête passionnante à
laquelle l’universitaire se livre pour tenter de résoudre l’énigme construite
autour de Louise Labé. Une énigme qui ancre ses racines au cœur de la vie
intellectuelle de Lyon. Au plein cœur du XVIe siècle.
LYON. FORUM VENERIS. FOURVIÈRE
De 1544 à 1555, Lyon connaît une décennie littéraire exceptionnelle. Les jeux
poétiques font fureur dans les milieux lettrés de Fourvière. Là, sur les pentes
de la ville, la vie culturelle bat son plein. L’animation autour de l’imprimeur
Jean de Tournes est fébrile. Italiens et Français, férus d’art poétique,
rivalisent de bel esprit. Les poètes s’affrontent en joutes versifiées.
Épigrammes amoureux et dizains se répondent. L’heure est à l’éloge paradoxal et
c’est à qui élaborera le plus abouti. Chacun évolue masqué derrière de curieux
anagrammes. Ainsi, derrière « Vice a se muer » faut-il décoder le nom
de Maurice Scève; derrière « Onc Perle nette en vif » celui de
Pernette Du Guillet. Et derrière l’anagramme « La loy se laberinthe
», celui de Louise Labé.
Au cœur de ces ébats poétiques, Maurice Scève et Pernette du Guillet,
compositrice du recueil des Rymes (1545) et inspiratrice probable du poète de Délie
Objet de plus haute vertu (1544), occupent une place de choix. Mais il y a
aussi « la perle des demoiselles lyonnaises ». Qui n’est pas Louise
Labé, comme j’aurais été tentée de le croire mais Clémence de Bourges qui n’a
pourtant laissé aucun écrit. En dialogue poétique avec Louise Labé, c’est le
poète Olivier de Magny que l’on trouve. Tout ce que le pays de France compte de
poètes et de beaux esprits, de gentes dames versées en arts, se rencontre à
Lyon, qui n’a rien à envier à la capitale. D’autant que la capitale rhodanienne
est à l’honneur en 1548. Avec les festivités qu’occasionne la visite du roi
Henri II et de Catherine de Médicis.
UNE MYSTIFICATION ÉDITORIALE
Influencée par les cours italiennes, Lyon excelle dans le trompe-l’œil, le
mirage et les jeux de miroirs littéraires. Il semblerait même que certains
poètes et artistes se soient ingéniés à inventer et à forger de toutes pièces
des personnalités littéraires. Nombre d’œuvres de cette période posent le problème
de l’identité de leur auteur. Ainsi, derrière la poétesse Jeanne Flore, faut-il
sans doute voir le poète espagnol Jehan de Flores. Et sans doute aussi,
derrière celle que nous vénérons comme l’une des plus belles muses de la poésie
française, la Sappho du XVIe siècle, Louise Labé, ne faut-il voir
qu’une vulgaire courtisane, transformée en talentueuse poétesse par la
mystification d’un groupe d’hommes de lettres habiles et talentueux. Selon
Mireille Huchon, qui confronte, analyse, compare documents et œuvres poétiques,
cette superbe machine littéraire serait l’œuvre de quelques-uns. Et le Débat de
folie et d’amour, éloge paradoxal jusqu’alors attribué à la
« Lyonnaise », serait le résultat d’une entreprise collective.
Savamment orchestrée par Maurice Scève, orfèvre en matière de vers et maître
d’œuvre de cette « supercherie éditoriale ». Avec la complicité de
Jean de Tournes et des fidèles habitués de son atelier. Une machination qui
relève d’un jeu poétique poussé à l’extrême. Car l’éloge paradoxal, - L’Éloge
de la folie, œuvre d’Érasme de Rotterdam, en est l’exemple le
plus célèbre - est un genre poétique pratiqué avec art par la gent lettrée
d’Italie et de Lyon .
LA BELLE CORDIÈRE
Quoi que s’en défende Mireille Huchon, on peut opposer à cette étude la misogynie
de ces messieurs de l’entourage immédiat de Louise Labé, dont certains – Claude
de Rubys (1533-1613) et Pierre de Sainct Julien, doyen de l’église de
Châlons-sur-Saône, tous deux historiens de la ville de Lyon – se sont plu à
assimiler la docte dame à une courtisane. Contribuant ainsi à la faire
connaître, à partir de 1584, sous le nom de la « Belle Cordière ».
Nulle trace, bien sûr, selon eux, chez cette femme vénale et lubrique, de la
moindre œuvre littéraire. Et si le Débat de folie et d’amour vibre d’une érudite
paillardise, ce n’est pas à Louise Labé qu’il faut en rendre hommage mais à
Maurice Scève et à Claude de Taillemont. On peut aussi alléguer le mépris de
Pierre Woieriot. Graveur et orfèvre qui semblait priser si peu la
« Lyonnaise », qu’il a effectué d’elle une effigie très peu
louangeuse. Destinée à figurer dans les Euvres [sic] (1555) de Louise Labé, ce portrait aurait
finalement été refusé par la poétesse elle-même. En raison de sa grossièreté
d’exécution. Et de l’assimilation de la poétesse à une grimaçante Méduse.
Selon Mireille Huchon, ce portrait, qui a inspiré les vers de nombreux poètes,
ferait lui aussi partie des jeux mis en scène par l’éloge paradoxal. Il
contribue à brouiller les pistes d’une biographie quasi inexistante. Un grand
vide qui a permis aux biographes des siècles suivants de s’approprier l’image,
toujours fluctuante d’une époque à l’autre, de Louise Labé. Et de modeler son
personnage selon les goûts du moment. Anamorphique Louise Labé ? Qui
n’existerait donc que pour se conformer à nos désirs ? Peut-être. Et
dommage. Dommage pour les femmes qui perdent l’une de leurs plus belles muses.
L’unique depuis Sappho (il y en a deux, à ne pas confondre !) et jusqu’à…
?
Difficile pour une non-seiziémiste de réfuter les analyses de Mireille Huchon.
La thèse de l’universitaire semble en tout cas réjouir Marc Fumaroli, qui
conclut son article du Monde du 12 mai dernier par un « Exit Louise
Labé ». Péremptoire, m’a-t-il semblé. Attendons !
Mireille Huchon, Louise Labé, Une créature de papier, Librairie Droz, 2006.
Angèle Paoli, Terres de Femmes
D.R. Texte angèlepaoli
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