Hélène Dorion vient
d'être élue à l'Académie des lettres du Québec..
A cette occasion, je publie ci-dessous le discours que
Sylvestre Clancier, secrétaire général de l'Académie Mallarmé, a prononcé en mars dernier lors de la
réception donnée en l'honneur de la remise du prix Mallarmé à Hélène Dorion au Centre Culturel Canadien
Notre amie Hélène Dorion
qui est l’argile et le souffle de sa poésie, comme de sa prose, n’a pas de fausse
coquetterie. Elle dit son âge et assume
sa génération. Née en 1958, elle a, très jeune, conquis le cœur et l’estime de
ses compatriotes québécois et a été reconnue par ses aînés prestigieux Jacques
Brault, Gaston Miron, Paul-Marie Lapointe comme une voix poétique importante
qui compterait à l’avenir.
Ainsi, dès 1989, Jean Royer, dans son Introduction à la Poésie québécoise, disait à son propos : « Hélène Dorion
continue de développer le thème de l’enfance et de la perte, de l’attente et du
silence de l’autre, dans un nouveau recueil, Les Retouches de l’intime. On sent que cette poésie cherche le passage
entre la perte d’un amour et l’ailleurs d’un renouvellement. » Et il
ajoutait, « la poésie d’Hélène Dorion s’écrit, en fait, là où la passion
devient tendresse, là où l’amour trouve sa permanence non plus en l’être aimé
exclusivement, mais en l’être qui aime et assume son désir. »
Depuis cette époque, Hélène n’a cessé d’approfondir sa voix de poète à travers
une bonne quinzaine de recueils de haute intensité. L’anthologie de ses poèmes,
D’Argile et de souffle, parue
chez Typo (L’Hexagone), en 2002, sous la direction de Pierre Nepveu, ainsi que
son dernier recueil, RAVIR : LES LIEUX paru
voici quelques mois aux éditions de La Différence et qui lui vaut aujourd’hui
le Prix Mallarmé témoignent de l’importance de sa poésie dans le paysage de la
poésie contemporaine de langue française.
Hélène Dorion, en un peu plus de vingt ans, a, en effet, non seulement publié
plus d’une quinzaine de recueils dont plusieurs ont été traduits dans de
nombreuses langues, mais elle a aussi, pendant des années, été directrice des
Éditions du Noroît, qui pour les nouvelles générations ont pu représenter, dans
les années 1990, ce que furent auparavant les éditions de L’Hexagone fondées
par Gaston Miron, Olivier Marchant et
quelques amis, ou, plus tard, La Barre du Jour et La Nouvelle Barre du Jour
avec Nicole Brossard ou bien encore Les
Herbes rouges fondées par les frères Marcel et François Hébert.
Rappelons également qu’Hélène Dorion, avant de recevoir le prestigieux Prix
Mallarmé, avait déjà reçu plusieurs prix : le Prix Aliénor (le cercle Alienor
l’accueillera de nouveau le samedi 11 mars 2006 à la Brasserie Lipp), le Prix
Alain Grandbois de l’Académie des Lettres du Québec, le Prix de la Société des
Écrivains Canadiens, le Prix du Festival International de Roumanie, le Prix
International de Poésie Wallonie-Bruxelles et le prestigieux Prix Anne Hébert.
Enfin Hélène Dorion nous a donné fin 2002, Jours de sable, un récit magnifique sur son enfance dans lequel
avec grâce, émotion et gravité, elle dit, comme dans RAVIR :
LES LIEUX , son engagement en
poésie et le pouvoir des mots qui seuls peuvent agrandir la vie.
Écoutons la, je la cite : « Dans l’enfance, les mots courent sans qu’on
puisse les voir, ils bâtissent des ponts au-dessus des eaux trop agitées,
posent des échafaudages, construisent des maisons, sait-on, du dedans au
dehors, de l’absence à la présence, les passages qu’ils inventent, les rivières
qu’ils traversent avant de parvenir à résonner dans la bouche ? Sait-on le jeu
qui les révèle à l’enfant – ciel, arbre, oiseau -, les syllabes d’un premier
pourquoi tenant à peine sur les lèvres menues, et le manque qu’elles découvrent
en même temps que l’intense beauté ?
Les mots creusent dans le corps autant de fissures d’où s’écoule le sens du
monde ; alors il faut les refermer une à une, tout reprendre du commencement –
ciel, arbre, oiseau -,que les mots cessent tantôt de se taire, tantôt de
s’écrier, et ne fassent plus que recueillir doucement les choses pour les
redonner au rêve qui les a tirés du néant, les rendre à la pure présence de
leur accord.
On va dans l’ombre de son propre corps, on rejoint les mots qui nous ont fait
naître, dans l’élan d’une quête aveugle qui n’a de sens qu’elle-même. Puis on
passe des ans à tirer jusqu’à soi ce filet rempli de ce que nous sommes, de ce
que nous ne sommes pas, et alors seulement, on découvre le visage de notre
histoire.
Il faudrait pouvoir rattraper le moment où, pour la première fois, le monde
souffle un mot dans notre bouche. Saisir l’instant précieux qui voit naître le
sens, et tout se transforme soudain, le long silence se déchire, les mots
surgissent, entrent par chaque pore, bientôt se mettent à tourner dans l’espace – ciel, arbre, oiseau -, les choses
s’agrandissent, et la vie avec elles. »
Oui, avec ses mots magiques, Hélène
Dorion agrandit la vie et nous ravit comme elle ravit les villes, les ombres,
les miroirs, les fenêtres, les visages, dans son dernier recueil : RAVIR :
LES LIEUX.
A partir de cette « matière fossile » qu’est son enfance, avec « ce vœu du temps qui brûle à mesure », Hélène, mieux que quiconque, sait dire en poète
pour notre ravissement « ce monde devenu monde, à force de résonner parmi
les ans. »
©Sylvestre Clancier
Secrétaire général de l’Académie Mallarmé
Le 9 mars 2006 pour l’Académie Mallarmé au Centre culturel canadien de Paris
Hélène Dorion dans Poezibao
Fiche bio-bibliographique, au Grand Parquet (mars 06), remise du prix Mallarmé au centre culturel
canadien (mars 06), lecture-rencontre au cercle Aliénor, carte blanche à Sylvestre Clancier,
discours de remise du prix Mallarmé, extrait 1, extrait 2
Rédigé par : cado junior | vendredi 18 août 2006 à 13h37