Cet apparent paradoxe est sans doute une des clés de ce livre Le vol du
Loriot et de la singulière
expérience dont rend compte Jacques Goorma.
Il est construit autour d'une série de courts récits en prose, neuf (plus un)
en tout, qui sont autant d'évocations d'impressions d'enfance. Impressions oui,
très fortes, plus que souvenirs, impressions quasi cénesthésiques,
admirablement rendues, de façon à la fois précise et poétique et qui donnent au
lecteur le sentiment de renouer avec ses propres souvenirs enfouis.
Le point de départ est une expérience vécue par l'enfant à l'âge de sept ans :
alors qu'il s'apprête à observer une éclipse, avec ses camarades d'école, il
est happé littéralement par le ciel et par un sentiment vertigineux d'infini,
il a le sentiment de tomber littéralement dans un ciel sans fond, sans fin.
C'est une blessure "sacrée", "invisible",
"indicible".
Est-elle à l'origine de ses impressions et rêves récurrents de vol, un vol dont il dit bien qu'il s'agit plutôt
d'une nage dans l'air et dont, toujours dans ces courts et denses récits en
prose, il donne la relation. De telle sorte que l'on peut dire que ces
impressions, pour physiques qu'elles soient, vécues intensément par le corps
réceptif d'un très jeune enfant sont (méta)physiques. Idée à mettre en
relation, sans doute, avec l'exergue du livre, de Thérèse d'Avila.
Ces brefs moments de prose ouvrent chacun une séquence de huit poèmes, très
courts, comme autant de "précipités" d'expériences relatives à l'expérience
centrale, des variantes, des variations, des approches. Ouverts par un mot,
parfois aphoristiques, ces poèmes usent du langage le plus simple pour rendre
compte, sans redondance, par les moyens de la poésie, de la singularité et en
même temps de l'universalité de ces sensations, dont la réminiscence est entretenue malgré le fait que "à tire-d'aile, nos enfances
s'éloignent". Parce que l'enfant a su trouver un jour le moyen de
"poursuivre et prolonger le ravissement du vol" et la possibilité de
continuer sa course "dans la rivière penchée du poème" pour rendre
compte de cette "scansion de l'âme qui nage en [lui] depuis
l'enfance".
Il est très beau de retrouver par la grâce d'un livre quelque chose du temps
perdu de l'enfance et de ses sensations écrasées par l'entrée dans l'âge
adulte. Il me semble que la poésie de Jacques Goorma y invite.
Jacques Goorma, Le vol du loriot, Arfuyen, 2005, 15 €
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