Nulle part où pleurer
les anonymes les disparus
interdits de tombe
À revoir, la mémoire : un livre comme la chaîne d’un seau qui plongerait
dans le puits du temps. Sombre puits, temps noirs, ténèbres fétides du XXe
siècle, les camps, la Pologne, le goulag, les anonymes anéantis, les
persécutés, les torturés. Quatorze chaînons eux-mêmes formés de maillons :
longue suite de tercets en litanie, tercets-cris, tercets-boutades amères,
tercets-pensées, tercets-plaisanteries cruelles, parfois aphorismes assassins.
Le titre a quelque chose d’énigmatique. Est-ce une
injonction, comme on dit une copie à revoir ? Est-ce le signe d’une
opposition farouche à toute forme de révisionnisme, ce monstre rampant ? Dans
la mémoire de Charles Dobzynski, il y a des faits précis dont il doit témoigner et qu’il doit transfuser dans
la mémoire de ceux qui viennent après lui et qui n’auront pas connu ces
temps-là. Il est le « Némo des ombres / pour parcourir vingt mille lieues
/ sous la mémoire. ». Et le seul lieu pour pleurer « les anonymes,
les disparus / interdits de tombe » est sans doute le livre.
On pourra s’étonner de l’inclusion, au cœur d’évocations de
Dachau, de Varsovie, de l’enfance « coincée dans une cave », de
séquences sur le temps présent, sur « le français tel qu’on le jacte
aujourd’hui », sur la télévision ou le portable. Sauf à les lire comme effets et causes, ces
phénomènes, du décervelage généralisé qui obnubile le sens moral, qui
anesthésie les consciences qui endort la capacité de juger et de se déterminer.
La mort domine tout, le paysage, l’œuvre, la mémoire du
poète « La mort fut mon état second / j’ai scruté / le réel depuis son
hublot. »
Formules-choc, jeux de mots et de sons, Charles Dobzynski
use de divers moyens pour faire rendre gorge à ce passé qui ne doit pas passer,
à ce passé qui est « à revoir » : « Je déambule dans ma
ville natale / débordante de leur non-être. / Il pleut. Les larmes se déguisent »
(50).
Que cette note de lecture soit aussi l’occasion de célébrer
le beau travail de l’éditeur Phi et d’Alexandra Fixmer que j’ai rencontrée au
Marché de la Poésie. Phi, une maison luxembourgeoise très active dans le
domaine de la poésie et qui publie chaque année environ 6 recueils, deux de poètes
du Luxembourg, deux de poètes de la francophonie et deux poètes internationaux,
avec notamment un important travail autour de la traduction.
©florence trocmé
À revoir, la mémoire
Éditions Phi
Isbn :2-89046-894-0
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