Affluence record hier soir dans la chaleureuse librairie anglophone de la rue Princesse à Paris, Village Voice, qui accueillait un événement exceptionnel : une lecture de la poète américaine Adrienne Rich. Odile Hellier qui anime le lieu fournissant non seulement le meilleur de la production littéraire anglophone mais organisant régulièrement des lectures très suivies (dont certaines bilingues), avait prévu cette affluence, installé un climatiseur, mais même avec ces précautions, nombreux sont ceux qui ont assisté à la lecture depuis la rue où s’était créé un petit attroupement ! Il est incroyablement doux au cœur de voir qu’en plein mois de juillet, en pleine canicule, on peut rassembler autant d’auditeurs fervents alors même que la poète invitée est non seulement pas médiatisée en France, mais pour ainsi dire pas traduite en langue française. Ce qui est en soi un véritable scandale.
Après quelques mots d’accueil d’Odile Hellier, c’est Ellen Hinsey, elle-même poète et fervente de l’œuvre de Rich, qui l’introduit. Elle a eu la gentillesse de me confier son texte dont je traduis ici quelques passages :
« C’est un honneur mais une tâche presqu’impossible que de présenter Adrienne Rich, en ce sens qu’un seul des aspects du travail toujours en cours de sa vie suffirait à occuper tout le temps disponible ! N’a-t-elle pas écrit dix-sept recueils de poèmes (chiffre qui n’inclut pas les éditions rassemblant les poèmes d’une période donnée ou plusieurs recueils), sans parler de ses très nombreux volumes d’essais, de son livre Of Woman Born, travail précurseur et innovant sur l’expérience culturelle de la maternité, de son travail d’éditrice ou encore de sa longue action militante en tant que féministe et lesbienne. Et il ne serait pas approprié en outre d’aborder un seul de ces points car c’est l’intégration de toutes ces activités innovantes qui rend pour chaque lecteur si gratifiant de suivre l’œuvre brillante, essentielle, stimulante et passionnée d’Adrienne Rich
Mais ce pourrait bien être le mot « lecteur » qui nous propose une ouverture pour exprimer de façon concise quelques points essentiels sur l’importance et l’impact de son œuvre. Dès son tout premier livre, justement titré A Change of World1, s’est manifesté dans la poésie d’Adrienne Rich le désir d’atteindre autrui et de créer un dialogue sur les significations ayant trait aux parts les plus cruciales de nos existences. Parfois, cela signifiait tirer de l’obscurité des choses non-dites, des significations qui nous enveloppaient, qui étaient notre sens et, comme le don le plus précieux, ses poèmes nous rendaient notre propre monde en fin de compte compréhensible, bouleversant, plein de défis mais aussi plein d’espoir. Parfois les poèmes nous entrainaient et nous stimulaient à imaginer avec elle des royaumes nouveaux et inattendus. Mais par-dessus tout, le travail d’Adrienne Rich est la définition incarnée d’une poésie qui est dialogue avec autrui – et qui de façon tellement émouvante remplit le contrat du Je / Tu. En ce sens, dans son écriture, elle partage avec la philosophe française Simone Weil la conviction que l’un des actes de compassion humaine les plus profonds consiste à poser à un autre être humain la simple question « qu’est-ce que tu vis » et d’écouter la réponse avec tout son être.
Après cette belle introduction, Adrienne
Rich a dit quelques mots qui m’ont beaucoup touchée sur le bonheur d’être là,
dans une librairie indépendante, à quel point c’était important qu’il y ait
encore des librairies indépendantes et non plus uniquement ces « chaînes »
qui n’ont plus grand chose à voir avec des librairies.
Puis elle a lu. Aussi
simplement que fortement.
Plusieurs
poèmes extraits de trois de ses livres, Midnight
Salvage, Fox et son tout dernier
ouvrage The School among the ruins2,
dont elle a extrait des textes graves parlant aussi bien de Beyrouth, du 11
septembre, de la guerre, que de Paris puisqu’elle a terminé avec beaucoup de
tact et de délicatesse pour ses hôtes en France par un poème intitulé « After
Apollinaire & Brassens » .
Puisse l’œuvre d’Adrienne Rich, dans tous ses aspects, poésie et essais, être traduite enfin de façon substantielle en France. Ellen Hinsey parlait d’ « une œuvre qui témoigne d’une générosité qui a peu d’équivalent dans la poésie américaine », mais on peut ajouter sans doute dans la poésie européenne. D’où la nécessité de ces traductions.
©florence Trocmé
©Ellen Hinsey, traduction inédite Florence Trocmé
2.L’École au
milieu des ruines
Bio-bibliographie, extrait
1, extrait
2, extrait
3, extrait
4
Un important article
de Marilyn Hacker sur l’œuvre d’Adrienne Rich (en français)
Photos © Florence Trocmé : de haut en bas, Adrienne Rich, Odile Hellier, Ellen Hinsey et de nouveau Adrienne Rich
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