Après deux romans, Xabi Molia a publié en 2005 un recueil de
proses et poèmes chez Gallimard, sous le titre Le Contraire du lieu.
Il a été l’hôte d’Alain Veinstein dans l’émission du Jour du
lendemain, le 2 février 2006 et l’émission sera rediffusée le 4 Août.
* L’ouverture inconsidérée d’une mémoire peut
réserver à son utilisateur une série de désagréments
allant de l’occlusion d’un sinus au cataclysme final.
On ne saurait ainsi que conseiller audit utilisateur
la plus grand prudence. Il procédera à ciel ouvert
et dans un espace dégagé. Il s’équipera de gants et
se vêtira d’une combinaison ignifugée. Il ne prélè-
vera lors de chaque opération qu’un souvenir, un
souvenir seulement, qu’un film plastique aussitôt
s’empressera d’isoler. Une mémoire se conserve à
température ambiante, dans un endroit sec et
ombragé. Une mémoire humide risque à tout
moment de se répandre. Liquide, la mémoire inves-
tit en quelques minutes toutes les pièces d’un
appartement, puis toutes les rues d’une ville, puis
tous les avions en partance, et tous les coffres où se
cacher, et jusqu’à la matière même des coffres, jus-
qu’à la lettre des mots, jusqu’à la forme des idées.
L’utilisateur embarrassé d’une mémoire évitera sur-
tout de s’en délivrer en la jetant au vide-ordures ou
dans une rivière mineure. Il s’installera plutôt dans
un endroit éloigné des regards, la nuit de préfé-
rence, et il la brûlera jusqu’au dernier baiser.
Xabi Molia, Le Contraire du lieu, Gallimard, 2005, p. 12.
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