Pour avoir observé le fonctionnement de nombre d’entre eux,
je sais que les tandems imaginés par Zéno Bianu pour la collection Jean Michel
Place/Poésie sont la plupart du temps très bien assortis, rarement décevants et
souvent, même si le mot peut paraître un peu incongru et difficile à prononcer
dans le contexte de cette revue, émouvants. Émouvants par ce que l’on devine de
la relation des deux poètes en présence, maître et disciple, filiation, amitié,
amour, etc.
Il faut que je rappelle en effet le principe de la collection : un ouvrage consacré à un poète alliant un court essai et une section anthologique. Mais ici l’ensemble de la composition, car c’en est souvent une, est confié à une seule personne, poète lui-même ou elle-même (voir à la fin de cet article, les références de plusieurs recensions des livres de la collection.)
François Boddaert qui par touches, dresse un magnifique
portrait de Franck Venaille, un portrait dont on se dit parfois qu’il a aussi
quelque chose d’un autoportrait caché, tant on sent les affinités très
profondes qui unissent ces deux hommes, un même regard terrible de désespoir et
d’humanité sur le monde, un même engagement, une même révolte et un même
« faire » avec « les armes qu’ils se sont forgées, les seules
qui vaillent à leurs yeux, les livres ». Venaille écrit, parle, est
présent, Boddaert écrit et édite, livres et revue (Le Mâche-Laurier). Il a
édité Venaille, il a édité le maître-livre La
Descente de l’Escaut dans sa maison d’édition Obsidiane. C’était en 1995
mais il a récidivé avec en 2001 la publication de Tragique et en 2003, celle de Hourrah
les morts.
Cela le rend totalement légitime comme portraitiste d’un
homme pour qui « l’écriture est une affaire d’éthique ».
Comment s’y prend-il pour dresser ce portrait ?
Principalement en se frayant un parcours au travers des livres, repérant les
grands thèmes, les sources, l’enfance et la guerre d’Algérie « l’enfance désespérante
et le côtoiement terrible de la guerre ». Regardant Venaille « se dénuder
extrêmement, s’écorcher même à vif mais avec la pudeur de qui terrasse par le
miracle de l’art l’exhibitionnisme triste en sacrifiant sa douleur sur l’autel
agnostique de la poésie ». On l’aura compris via ces citations, François
Boddaert trouve des formulations percutantes pour parler de Venaille, il épouse
son sujet par son style, ses mots, les rendant fidèles à son modèle. « Toute
l’œuvre de ce poète est traversée par la grande profération du corps souffrant,
dans une trilogie qui est aussi une trinité presque mystique : le corps
qui aime, le corps qui souffre, le corps qui meurt ». Deux grands thèmes
sont encore explorés, le cheval et le fleuve, l’Escaut. Et quand Boddaert dit
que « l’œuvre de Franck Venaille est l’une des plus marquantes de l’époque »
[avec son] « questionnement inlassable et tragique de l’origine et du
destin », il en a complètement convaincu le lecteur à qui il offre en prime
un keepsake des signes, abécédaire
des obsessions de l’œuvre et de l’homme Venaille, de Adolescence à Wozzeck en
passant par Juif, Noir et Pédéraste (« ce qu’il voulut
être »).
S’ouvrent ensuite les pages anthologiques, ponctuées comme
le reste du livre de photos donnant à « lire » le visage de Venaille
à diverses époques de sa vie.
Il est d’usage aussi que l’auteur choisisse quelques mots,
une phrase, qu’il accole au nom du poète, et qui devient ainsi part intégrante
du titre. François Boddaert a choisi « je revendique tous les
droits ».
On quitte ce livre en se disant : lire ou relire Franck
Venaille de toute urgence.
©Florence Trocmé
François Boddaert, Franck Venaille "je revendique tous les droits"
Jean Michel Place / Poésie, 2006
isbn : 2858938202
11 €
Franck Venaille dans Poezibao :
Bio-bibliographie
de Franck Venaille, fiche
de lecture de Pierre Jean Jouve (JM Place), "Lecture" poétique 10, extrait 1,
André du
Bouchet, debout sur le vent par Antoine Emaz
Allen
Ginsberg, la voix, le souffle, par Jacques
Darras
Pierre
Jean Jouve, l’homme grave, par Franck Venaille
Roberto
Juarroz, mais au centre du vide il y a une autre fête, par Michel Camus
Gherasim
Luca, passio passionnément, par André Velter
Octavio
Paz, lettres posthumes à Octavio Paz depuis quelques arcanes majeurs du tarot, par Serge Pey
Sylvia
Plath, un galop infatigable, par Valérie
Rouzeau
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