photo ©2006 Margo Berdeshevshy
L'histoire
Pour apprendre à mourir, regarde les cerisiers en fleurs, observe les chrysanthèmes. Anonyme, 1700
Tandis que la vache cornue encordée dans sa cour est conduite vers une fosse
creusée,
gorge coupée pour la viande d'une semaine, sang chuintant là où pour cette
chanson le couteau a tranché – les
garçons du village applaudissent –
Le vent n'a pas de passeport, ne connaît aucune frontière pas plus que ciel et
terre.
La mer ne connaît pas sa frontière non plus, affamée comme l' idole du village
à la vue d'un hibiscus rouge et frais consciencieusement placé derrière son
oreille de pierre sculptée.
Était-ce la faim, demandais-je. Éveillée et endormie dans les nuits de vase, j'essaie de flotter dans la mer d'âmes. Mais ce n'est pas un réconfort. L'eau est faite pour éliminer au lavage la sueur des tropiques à la limite de l'équateur, mais la mer ?
Voici l'histoire : il est midi. Un homme saisit sa femme – laisse tout
tomber, ne prend rien avec lui , Viens. Et il écrase le champignon de sa jeep
quelques pouces seulement en avant du deuxième et du troisième et du quatrième
mur montant d'eau noire – la voiture plus lente derrière eux perdue, dans l'eau
vorace
L'homme sait qu'il doit tourner à droite, monter la prochaine côte étroite,
agripper
sa mère, sauver sa mère. Un sac-d'os-de-vieille-femme clopinant avec sa canne,
en
face de lui , courbée , et ralentissant sa fuite, son
moteur bouillonnant, il
saute de la voiture, empoigne son corps, l'expédie au fond de sa
jeep-en-quête-de-mère
et écrase le champignon à droite. Pas par là, va à gauche, tempête la femme.
Mais non,
– ma mère – c'est bon ta mère, tourne à
gauche, tourne à gauche sur cette colline
hurle-t-elle, ou tu vas mourir.
A présent tous les désespérés s'accrochent à sa voiture et crient A gauche, Va
à gauche,
Monte. Assailli il cède Et tourne.
Tandis que l'eau derrière son échine
enfle de sang et de flots en crue – elle engloutit tout ce qui est à droite. Et
il roule
toujours plus haut, jusqu'au point culminant de la route. Là, la vieille femme
s'extrait et se volatilise. Et là il y a sa mère, déjà arrivée au point haut,
et tous dans sa rue à elle, là où il voulait aller, emportés
par l'océan indien rapace qui pourrait être n'importe quel océan, la prochaine
fois, imagine.
Chaque année est la plus terrible. Un soleil. Une brise rouge. La musique
préférée
d'un adolescent fredonnant contre son oreiller dans la langue des plus
puissants
du monde. Près d'une fenêtre, près d'une autre vache encordée, près d'une lune
à larges hanches. Chaque vague est la mer des âmes. Toute âme sa captive
bien-aimée.
Tsunami, Sumatra, 26 décembre 2004
©Margo Berdeshevsky
traduction de Florence Trocmé et Brigitte Quentin
Margo Berdeshevsky dans Poezibao
Bio-bibliographie, présentation du Tsunami
Notebook, Plus
que des îlots
(Mere Islands), Césure (Caesura), Ce qui ne s’est pas
effondré, What has not fallen
Photo ©Margo Berdeshevsky
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