De l’air, le titre semble presque
long pour Antoine Emaz qui nous a habitués à ses Ras, Soirs, Os et autre Boue…Surprenante aussi la première séquence du recueil où l’on
entend comme un dialogue avec le poète Jean-Luc Parant et sa réflexion infinie
sur les yeux : « billes
repliées sous leur coque ou bien vitreux les yeux encore ».
Mais passée cette première pierre du gué, on se trouve à nouveau comme en suspens sur le vide gris qu’explore
Antoine Emaz depuis plusieurs années : petits tas de mots, drastique
économie de moyens, peu de verbes ou d’adjectifs, des constats (tout sauf
simples). Couleur dominante, le gris, gris de cendre ou « gris de sel »,
le noir, le blanc aveuglant ou le bleu du ciel qui est un abîme. Et avec ce peu
de choses, le poète parvient à susciter tout un ébranlement, à créer une
sensation physique de vide, d’absence, de trou d’air, d’enlisement dans le
temps. Le poème semble naître d’une fragile impulsion arrachée à la force d’inertie
sur laquelle le poète « manque d’une prise », impulsion suivie d’une
brève montée – faible espoir d’arracher des bribes au vide – puis d’un retour
résigné au silence.
Il y a bien quelques éléments tangibles, visites à la mère âgée « fin de
course d’un corps / qui rejoint les ombres / déjà en nombre dans la tête »,
évocations culinaires, bref répit dans la dépression de l’âme mais sans
illusion puisque « au bout on le sait / le sac reviendra sur le dos ».
Ou même, dure, cruelle, l’évocation de l’alcool. Et le malheur du monde n’est
pas absent non plus, on le sent qui pénètre le quotidien via les medias, via
les yeux : « pousser l’image hors de l’œil – […] enfant aux yeux
écarquillés sierra leone riant son arme sur le ventre – » Le tout piloté par un
ON vague indéfini en lieu et place d’un JE.
Avec ces moyens épurés, sans concession au beau ou au facile, Antoine Émaz creuse une trace profonde : confrontation au vide, à l’absolue solitude contemporaine, au « feu muré », avec en toile de fond cette éthique déchirante : « heure à heure, hâler le jour » ou encore « seulement durer ». Et pour seule justification la recherche d’un « espace encore à ouvrir / avec les dents les mains les mots » pour « ne pas laisser comme c’est », sachant que le poème n’est qu’ « une rambarde qui n’enlève rien au vide » mais que cependant « on tient dans le très peu qui reste ». Autant de citations emblématiques de la tension féconde et douloureuse sur laquelle est construite ce très beau recueil.
de l’air
Paris : Le Dé bleu, l’Idée Bleue, 2006
Isbn 2-84031-213-1 : 13, 50 €
Antoine Émaz dans Poezibao
Bio-bibliographie
extrait
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3, extrait
4, fiche
lecture de os, extrait
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Rédigé par : Angèle Paoli | lundi 18 septembre 2006 à 22h35