Comme
souvent, à la lecture de Michel Butor, une sorte de vertige naît à parcourir
les dizains, cent trois, de la suite qui vient de paraître sous le nom de Don Juan en Occitanie : « cent
trois poèmes pour célébrer la femme, le désir, l’amour », dixit la
quatrième de couverture ce qui pourrait en faire fuir plus d’un n’était la
signature du poète et n’étaient aussi les lavis de Colette Deblé et cette
couverture qui expose le dessin rouge d’une femme comme surgissant d’un napperon
en papier. Tout cela suffisamment excitant et énigmatique pour que l’on ait
envie d’aller un peu plus avant.
Sur chaque page deux dizains soigneusement numérotés et dans chaque dizain une
adresse à une femme, nommée, précise, et entrelacés à cette adresse l’invite la
supplication l’appel d’un Je déchiré, torturé, hébété, délabré, déchiqueté,
voire même pustuleux, ruiné, infâme, damné, enragé, aveugle : on s’en
doute, avec Michel Butor, pas de pénurie de vocabulaire ! Autre caractéristique récurrente, une
circulation des mots ou de tronçons de vers qui passent d’un texte à l’autre,
transformés ou non, permutant, basculant, en ricochets, en échos.
Jeu d’échos qui se manifeste aussi dans le choix des personnages féminins
invoqués évoqués où l’on retrouve le dialogue avec Colette Deblé, au travers
des représentations de ces cent trois femmes célèbres ou inconnues de l’histoire
de l’Occitanie. Elles sont le sujet de tableaux ou de sculptures de Tassaert,
Hallé, Coypel, Vien, Houdon, Ranc, Natoire, Cabanel et l’internaute ne pourra
sans doute pas s’empêcher de se mettre en quête, via la recherche d’image de
son « moteur » préféré de toutes ces figures et de ces artistes. J’ai
ainsi facilement retrouvé la Vertumne de Jean Ranc même si je n’ai pas vu sur
le tableau reproduit le nombril qui affole tant le poète….
J’ai voulu en savoir un peu plus sur la démarche de l’artiste Colette Deblé qui
poursuit depuis des années une quête inlassable des représentations de la femme
dans toute l’histoire de l’art occidental. Je lui ai posé quelques questions en
complément de cette note de lecture.
FT : comment s’est faite la rencontre avec Michel Butor sur
ce livre qui est si proche, par sa recherche sur le thème de la femme dans l’art,
de votre propre travail ? Est-il venu vous chercher ? Est-ce vous qui l’avez
sollicité ?
Colette Deblé : j'avais demandé à Michel Butor de participer aux cahiers de
Peausie de l'Adour, et à cette occasion d'écrire sur des dessins-napperons qui
accompagnaient les lavis de mon essai plastique sur les représentations de
femmes dans l'histoire de l'Art. J'essayais de faire à ce moment là un
itinéraire des représentations de femmes dans les Musées d'Occitanie. D'où Don Juan en Occitanie. En visitant
l'exposition de Michel Butor à la B.N.F., j'ai vu qu'il y avait tout un cycle
Don Juan dans l'œuvre de M.B. Donc c'est une suite pour lui, un travail en
continu.
FT : n’avez vous pas éprouvé une sorte de gêne à être
confrontée à cette masse de références picturales en particulier, n’y a-t-il
pas eu une lutte entre vos propres représentations et les figures invoquées,
voire convoquées par Michel Butor ?
CD : pas du tout c'est moi qui ai donné à M.B. sur sa demande, toutes les
références d'où étaient tirés les dessins. Les figures invoquées sont donc
celles de mes dessins. Cela s'est passé en toute complicité. En toute
générosité de la part de M.B.
FT : pouvez vous décrire un peu votre
technique et si vous le souhaitez dire un mot sur ces papiers napperons en
dentelle que vous utilisez comme fonds ?
CD : je mets d'abord en place le dessin, le mieux possible, que je noie à
l'intérieur par un lavis. Et le dessin sourd, apparaît sous les lavis. Les
napperons sont juste une trouvaille, un clin d'œil à une préciosité fragile.
C'est juste occasionnel.
FT : est-ce que ce travail avec Michel
Butor a fait évoluer ou a modifié votre point de vue sur votre propre travail
et votre quête de la représentation des femmes dans l’art pictural ?
CD : Oui, je suis comme un Don Juan qui essaie de voir comment on voit. Et
ma quête ne peut pas s'arrêter..
Voilà donc un livre très butorien par son sujet, sa technique poétique, le
dialogue avec une artiste, la part de jeu qui entre dans toute cette approche,
la curiosité et la culture sans fin sans fond, l’élan créateur qui l’emporte.
©florence trocmé
6
Amour ! dame dans ma caverne
pestiféré je haletais infâme
dans les galeries ce matin ô
ton humeur Béatrice danseuse
au tambourin de Jean-Antonin Injalbert
bourgeon unique tes tempes
tes ondulations ta poitrine ta peau
m’ont délivré nourri où m’entraînes-tu
fondre quel repose ! accueille-moi
chèvrefeuille ! plonger et partir
94
Hâte-toi ! délabré dans mes tempêtes
quelle angoisse ! je virais méconnaissable
déchiqueté dans la clairière progressivement
fantasque Vertumne de Jean Ranc
devineresse fille muse
des flots vive tes rhapsodies
tes mouvements ton nombril m’ont bouleversé
m’ont décanté sel des passages
cygne je souffre exauce-moi !
déguster circuler encore
Michel Butor,
Don Juan en Occitanie,
Lavis de Colette Deblé,
L’Atelier des Brisants, 2006
isbn 2-84623-080-3, 15 €
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