1. Êtes-vous
d'accord avec l'assertion qu'il n'y a que très peu de poètes femmes de très
grande stature ?
Je n’exprimerais pas les
choses de la sorte. Je dirais que les femmes poètes sont sans doute, en France,
moins bien considérées et moins bien accueillies que les hommes. Toutefois,
nous avons Louise Labé, Pernette du Guillet, Marceline Desbordes-Valmore, Marie
Noël, Catherine Pozzi, Renée Vivien, sans parler de Marguerite de Navarre ou de
Christine de Pizan, à laquelle est consacré le n° 18 d’Art de l’enuminure.
Il est certain, toutefois, que
les femmes, dans les pays anglo-saxons n’encourent pas le même discrédit
littéraire et là, celle qui me vient la première à l’esprit, c’est Emily
Dickinson. Recluse en la maison paternelle et non publiée de son vivant, elle
est maintenant considérée comme l’un des poètes majeurs de la modernité. On
peut citer également, en Angleterre, Elisabeth Barrett Browning, Emily Brontë,
Christina Rossetti, au dix-neuvième siècle, puis, venue de Nouvelle-Zélande,
Katherine Mansfield, au début du vingtième siècle, qui est autant poète en ses
nouvelles qu’en ses poèmes.
Le monde anglo-saxon nous
offre aussi Marianne Moore, Elizabeth Bishop, Denise Levertov, Adrienne Rich,
Sylvia Plath, toutes américaines. On peut aussi penser à Kathleen Raine,
Veronica Forrest-Thomson ou Ruth Fainlight, mais il en existe d’autres, dont
Carol Ann Duffy que citait l’autre jour, lors de notre lecture de poésie à la
librairie Shakespeare & Company, Vivienne Vermes.
En langue allemande, on pense
à Nelly Sachs. Je songe aussi à deux poètes russes, Anna Akhmatova et Marina
Tsvétaïeva.
En France à l’heure actuelle,
les femmes tentent de faire entendre leur voix. Certains noms sont connus
(Andrée Chédid, Marie-Claire Bancquart, Valérie Rouzeau), mais il demeure plus
difficile pour une vois féminine d’attirer l’attention. Peut-être est-ce parce
qu’une femme cherchera moins à conquérir des positions de pouvoir et sera plus
ouverte à l’altérité et à des sensibilités multiples, plus accoutumée également
au doute et à la réserve, dès l’enfance.
L’heure, il faut bien le dire,
n’est pas très favorable aux poètes. En notre monde mercantile, on parle plus
de produit culturel que d’intériorité ou d’épreuve existentielle. La tendance
est à la lecture facile, au spectaculaire et à l’idée simple, pour ne pas dire
simpliste. Nous œuvrons dans nos livres, nos revues et notre enseignement à
faire entendre une diversité plus subtile, une petite voix, mais le combat est
inégal, David et Goliath.
Toutefois, la disproportion
est telle qu’il n’y a pas lieu de se décourager. La poésie, et plus
généralement la littérature, est un exercice d’humilité, largement favorisé par
le fait que la scène centrale soit entièrement occupée par la grande machine
des effets de masse. La poésie est un murmure à sans cesse façonner l’âme. Le
roulement de tambour de l’arracheur de dents n’est destiné à couvrir que les
cris de douleur du patient qui passe entre ses mains. Un simple murmure, lui,
ne peut être réduit par un tambour.
Anne Mounic
Anne Mounic dans Poezibao :
Anne Mounic a créé avec Guy Braun la revue Temporel
(revue internet)
note
bio-bibliographique, extrait
1, une
lecture chez Shakespeare and Co (fév. 06) fiche
de lecture de La poésie de Claude Vigée,
Rédigé par : Gaudin Rémi | mardi 19 septembre 2006 à 16h30