Je suis persuadée que la
raison du prétendu manque de créativité poétique des femmes, du reste battu en
brèche depuis une ou deux générations, c’est qu’une certaine idée régnante
(même inconsciemment) de la « féminité » , qui commence par l’éducation de
la petite fille, exclut précisément la créativité au profit de qualités plus
passives, plus dépendantes, plus « convenables ». Or, il faut pour
être créateur oser sortir le tréfonds du puits intérieur ; il faut l’amener à
la lumière. Et tenter de le contrôler. C’est une espèce de prise de pouvoir, de
transgression, qui n’est pas encore toujours très bien tolérée, surtout en
France, de la part d’une femme.
Pour commencer, ce qui sort du fond du puits, le désir, l’éros, qu’il soit
sexuel ou artistique, a longtemps été bridé, voire tabou chez elle. Qui bride
son désir le bride en toutes choses : sexualité, caresse des objets, joies
artistiques (et bien entendu, bride les violences de leurs éventuels retours de
bâton). Qui laisse couler les mots dans un moule appris a peu de chances d’écrire
un bon poème. Renée Vivien, qui possédait les chances et malchances du désir
assumé, écrit en alexandrins de bon-papa, docile aux enseignements de son
professeur.
Paradoxe peut-être, le seul lieu où le tabou de l’éros était levé pour une femme,
dans les siècles passés, c’était le couvent, où l’amour avait le droit de s’élancer
vers Dieu. Aussi, quelle sensualité, quelle langue de désir chez les femmes
mystiques!
Du reste, je ne mets pas trop en cause pour la France, un des pays dits « évolués »
où les femmes poètes sont sans doute en plus grande minorité, le catholicisme
traditionnel, mais plutôt le modèle révolutionnaire et napoléonien de la femme
à l’antique. Il a réactualisé et radicalisé l’héritage des pays de la latinité (en Espagne, au
Portugal, en Italie, le nombre des femmes poètes n’est pas non plus très
grand). Il y a beaucoup plus de poètes femmes en Amérique du Sud, pourtant de
langues latines, mais éloignée de ces pays héritiers directs, et dans les
francophonies du Québec, de Belgique, du Luxembourg, plus proches d’un esprit
anglo-saxon : dans le monde anglo-saxon, les choses n’ont pas été
particulièrement faciles non plus pour les femmes, mais leur héritage les fait
plus indépendantes que l’héritage latin.
En France particulièrement, toutes les
conditions ont été réunies à partir de 1789 pour que la création des femmes n’émerge
que difficilement. La Révolution française a constitué un grand recul à cet
égard : les hommes au pouvoir, les femmes à la quenouille et au berceau, tel
est le modèle de la république romaine dont les révolutionnaires étaient
imbus. Il a donc été subitement
actualisé et a longtemps perduré, inscrit dans la loi par le code Napoléon.
Avant 1789, les femmes avaient été beaucoup plus libres, d’Éros, d’écriture, et
de rôle dans les affaires de la société (eu égard, bien sûr, au caractère très
hiérarchisé de leur société, qui l’était aussi pour les hommes). Cela finit
avec la Révolution, qui établit un très grand conformisme, de type social plus
que religieux. A preuve : à la fin du dix-neuvième siècle, dans les couches «
éclairées » de la société, la religion n’est plus que de façade, mais les
femmes ne doivent pas créer ; elles contribuent par les salons à
l¹élévation des hommes, c’est tout autre chose..
Non, je ne suis pas antirévolutionnaire ! Bien au contraire ! J’aurais
voulu que « les droits de l’homme », qui étaient à l’usage viril uniquement,
fussent aussi les droits de la femme, soumise dans la réalité à un tout autre
régime. Celui-ci a duré jusqu’aux grandes guerres. Nous avons eu, nous avons
encore du mal à nous en dépêtrer.
Pourtant je pense que maintenant, la modification des lois en France permet aux
femmes de vivre autrement, et qu’il dépend beaucoup d’elles de la faire appliquer.
En n'oubliant pas que la poésie, c'est du travail sur la langue, c'est du
travail sur soi, ce n'est pas « laisser couler son cœur » sur la page :
pour être admise comme poète , il faut d'abord présenter quelque chose qui vaut
la peine ! En n’oubliant pas non plus que les lois ne sont pas acquises
pour toujours et peuvent régresser. Aujourd'hui reste, il est vrai, une
question de mentalité masculine, qui ne s’abolit pas si vite avec des lois. Des
obstacles sociaux demeurent. Mais cette ligne de séparation n’est pas tracée,
il s’en faut bien, par tous les hommes. Et sauf muflerie ou mensonge
caractérisé de la part de l’interlocuteur, rien de mieux que de l’effacer avec
le sourire. Ce n’est pas moi qui prônerais un « féminisme poétique »
antihomme ! La douceur de l’amitié, la force de l’amour, la joie et la
difficulté de cette langue dans la langue qu'est la poésie, on ne les ressent
que davantage dans l’égalité d’un échange.
©Marie-Claire Bancquart
Marie-Claire Bancquart dans Poezibao :
Note bio-bibliographique
extrait
1, extrait
2, extrait
3, extrait
4, extrait
5, extrait
6, extrait
7, extrait
8, extrait
9, extrait
10, extrait
11, extrait
12, extrait
13
Aux
20 ans du nouveau recueil,
Lecture
chez Tschann (05),
fiche
de lecture : Avec la mort, quartier d’orange entre les dents,
Carte
Blanche à (sur Bonnefoy au programme de terminale L)
Tous les liens sur l’enquête de Poezibao sur les femmes-poètes :
La
place des femmes poètes 1 : présentation ; La
place des femmes poètes 2 : liste de toutes les poètes cités, volet
1 : stature, statut, statue, De la
méthode (publier les réponses), les réponses : Dominique
Dussidour, Marie-Florence
Ehret, Anne
Mounic
Commentaires