Le Comité de rédaction de la revue Les Hommes
sans épaules me faire part du décès du Poète Jean BRETON, survenu
ce 16 septembre 2006
Jean Breton, né le 21 août 1930, à Avignon, est décédé le 16 septembre 2006, 5h30,
à son domicile parisien, des suites d’une longue maladie. Fondateur des Hommes
sans épaules, en 1953, puis de Poésie 1, en 1969, il a été éditeur,
animateur et critique.
Il a découvert et encouragé les meilleurs. Il était
aussi et surtout, l’un des poètes majeurs de sa génération et de la seconde
moitié du XXème siècle. Nous lui devons Poésie
pour vivre, le manifeste de l’homme ordinaire (1964), qui, co-écrit avec Serge Brindeau, avait fait de lui le chef de
file des poètes de l’émotion. Nous lui devons également le fait d’avoir
instauré la présence de l’homme ordinaire dans le poème, par un réalisme
inédit, allié à une quête perpétuelle du désir, qui le place aux côtés des plus
grands poètes de l’amour : Paul Eluard, Lucien Becker, Alain Borne, Marc
Patin, Jean Malrieu et quelques autres. Chez lui, le poème n’est jamais sève
artificielle, pirouette linguistique, verbalisme outrancier. Se méfiant du cynisme
comme du décoratif culturel, le poème colle au plus près de la réalité, du vécu
de l’homme ordinaire, statut que le poète a toujours réclamé pour lui-même.
Chez lui, le « Je » n’est individualiste que pour mieux rejoindre le
collectif, et tendre vers une aspiration idéale à propos de laquelle le poète
demeure en partie sceptique, mais qu’il appelle de tous ses vœux. L’œuvre
poétique de Jean Breton, couvrant la période de 1952 à 1984, a
Christophe DAUPHIN
CONTRE
MA JOUE
Quand le froid laisse errer ses
vitres, je me réfugie auprès des feux d’autrefois. Pas chez moi, où rien
n’était intime. Dans la Drôme, chez des fermiers que nous aimions.
Des tas de fumier hirsutes, des coqs
pas bêcheurs dessus, des cochons dans la boue enthousiastes. Grâce à quoi on
évita la disette sous l’Occupation.
Deux feux de cheminées se
superposent dans mon souvenir : celui d’une exploitation, à côté de l’église
de Livron, qui produisait des pommes de terre, et dont j’ai mutilé les visages
– pourquoi ? Et celui de madame Monnier, à l’Etoile, avec les bancs, le
lait, des châtaignes.
Le puits prenait son ombre au fond
d’un haut carmel de dalles. Nous tirions l’eau secrète… pour un usage bien
modeste ! Voici la maison de mère Origine, des fées, des nains, des
lapins-miracle, de la poussière qui ne salit pas. Les chiens – même format,
mêmes abois – se réincarnaient sans souffrance. Le Fantôme du Bengale, bague au
poing, rendait la justice. Je croyais que les choses dont on faisait le tour et
qu’on pouvait blottir dans un regard étaient capables de fraternité.
Mémoire fantasque ! Je revois
chaque pièce, les greniers, les trappes, les trois frères querelleurs, le cheval
mort debout, la déclivité de certains champs quand nous portions les hottes.
Les aînés pêchaient l’écrevisse à la lanterne, malgré la loi : nous
revenions trempés, dans la peur exquise du garde. Les cerises étaient géantes,
le blé hors cote comme le dollar. J’aidais. Je
suis encore sur les batteuses : mon premier jazz, ce bruit. La sueur
des hommes tombait dans le vin. Je revois ma maladresse pour planter un
arbuste. Aucun progrès depuis.
Quand je suis triste, je mets la
ferme de l’Etoile contre ma joue et j’entends s’arrêter de cogner le temps.
(Je dis toujours adieu, et je reste, 1973)
Rédigé par : ANA MARIA DEL RE | mardi 19 décembre 2006 à 15h21
Rédigé par : Alain Marc | mardi 19 décembre 2006 à 12h30