À Wicklow aussi un chien a pleuré cette nuit
en
souvenir de Donatus Nwoga
Quand les humains eurent compris ce
qu’était la mort
Ils envoyèrent à Chukwu un chien
porteur de ce message :
La maison de la vie devait leur être
ouverte.
Ils ne voulaient pas finir à jamais
perdus
Comme le bois brûlé disparaît en fumée
Et cendres dispersées au vent.
Non : leurs âmes
Étaient comme une troupe d’oiseaux
croassants
Au crépuscule, revenant aux mêmes
perchoirs,
Aux mêmes purs climats, aux ailes
étirées du matin.
La mort serait comme une nuit passée
dans la forêt :
À l’aube, chacun serait rentré dans la
maison de la vie.
(Voilà ce que le chien devait dire à
Chukwu.)
Mais le chien oublia la mort et les
humains, préférant
Quitter le sentier en trottinant pour
aboyer
Car un autre chien, en plein soleil,
lui aussi aboyait
Depuis l’autre rive d’une large
rivière.
Et c’est ainsi que le crapaud parvint
avant lui chez Chukwu,
Le crapaud qui avait entendu les
premiers mots
Du message du chien. « Les
humains », dit-il
(Et sur ce point le crapaud sut
convaincre),
Le humains veulent que la mort dure
toujours. »
Alors Chukwu conçut leurs âmes comme
des oiseaux
Volant à sa rencontre, taches noires
sur le crépuscule,
Vers un lieu sans arbres ni perchoirs
Ni aucun retour vers la maison de la
vie .
Et son esprit s’emplit de rouge et de
noir tout ensemble
Et, de ce que le chien lui apprit par
la suite, rien ne put
Modifier cette vision. Grands chefs,
grandes amours
Dans la lumière effacée, le crapaud
dans la boue,
Le chien pleurant toute la nuit
derrière la maison des morts.
Seamus Heaney, L’Étrange et le connu, édition bilingue, traduction de l’anglais
(Irlande) par Patrick Hersant, Gallimard, 2005, p. 128-131.
Seamus
Heaney, The Spirit Level, Faber and Faber, London,
1996.
A dog was crying
tonight in Wicklow also
When human beings found out about death
They sent the dog to Chukwu with a message :
They wanted to be let back to the house of life.
They didn’t want to end up lost forever
Like burnt wood disappearing into smoke
Or ashes that get blown away to nothing.
Instead, they saw their souls in a flock at twilight
Cawing and headed back for the same old roosts
And the same bright airs and wing-stretchings each morning.
Death would be like a night spent in the wood :
At first light they’d be back in the house of life.
‘The dog was meant to tell all this to Chukwu).
But death and human beings too second place
When he trotted off the path and started barking
At another dog in broad daylight just barking
Back at him from the far bank of a river.
And that is how the toad reached Chukwu first,
The toad who’d overheard in the beginning
What the dog was meant to tell. ‘Human beings’, he said
(And here the toad was trusted absolutely),
‘Human beings wants death to last forever’.
Then Chukwu saw the people’s souls in birds
Coming towards him like black spots off the sunset
To a place where there would be neither roosts nor trees
Nor any way back to the house of life.
And his mind reddened and darkened all at once
And nothing that the dog would tell him later
Could change that vision. Great chiefs and great loves
In obliterated light, the toad in mud,
The dog crying out all night behind the corpse house.
Note
bio-bibliographique
extrait
1,
index
de Poezibao
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