Marées
J’ai découvert la mer, enfant, rue de Sèvres,
un matin plein de courses, au seuil des vacances, en pleine fièvre de départ.
Mon père me pressait la main sans rien dire et se hâtait, de son pas carré. De
temps en temps, je regardais d’en bas le doux souci de son profil, et le
tournant de son chapeau à haute forme où le ciel d’été défilait. Les maisons
s’écartaient et glissaient peu à peu devant un estuaire, que les passants
bordaient de sillons mâchurés, comme nous en tracions, le crayon à plat, pour
les côtes et pour les montagnes, quand nous faisions une carte de géographie.
Nous arrivions au Bon Marché : « Tu
vois… », commença mon père. En effet. J’aperçus un port fermé de grilles,
un môle, un vaisseau immense, aux vitres brillantes, aux cheminées bleues,
comme j’en avais vu l’image en couleurs dans un vieux livre, et qui me fit
penser à l’Astrolabe, à la Zélée ou au Vengeur, des dames de proue coiffées de
fanaux, des hublots laiteux, des lampes qui brûlaient dans le plein jour, des
battements d’ailes blanches et jaunes, des claquements de pavillons, des fumées
coupées de cris chantants et de cloches, et je compris que c’était la Mer.
Plainte
Les
souvenirs
Que
nous avions ensemble.
Le
ciel n’a plus son bleu léger
Et
comme rassuré.
Il
se fait plus profond, se dore
Et
prend le soir avec inquiétude.
Les
démarches ouvrent une trêve
À
leur fatigue.
Les
hommes se joignent et s’arrêtent
Comme
en un songe.
Ô
vie, dans ce moment qui passe
et
que nous voudrions pour toujours ressaisir,
Cesse
de dérober le secret de nos jours…
Léon-Paul Fargue, D’après Paris, Gallimard, 1932, p. 99-100.
note
bio-bibliographique
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