Dossier PIERRE REVERDY
Ce dossier a été préparé par Tristan Hordé
à
Reverdy,
pour lutter dans l’hiver avec lui
il ne faut pas faire de phrases
la maison et ses vitres lentement tourne
elle est loin du soleil
elle rentre dans la nuit comme on s’étend
dans les draps oublieusement
le silence reste pris entre les murs
les vases les chaises
ne rêvent ni vivent
peut-être ils veillent
il faut attendre lundi
la clef la clenche ne bougent ni
les tentures passées les coussins brodés
que toute l’illusion revienne
sous les nuages en cendre
Jude Stéfan, Laures, Gallimard, 1984,
p. 13.
De sa naissance à sa mort, et plus loin, jusqu’à nous, Reverdy n’a jamais
bougé. Je veux dire qu’il n’a jamais reculé, n’a jamais cédé un pouce de
terrain, n’a jamais transigé sur un mot. A rejeté les masques, les travestis,
les rôles et l’attirail de la pitoyable comédie des Lettres. Aujourd’hui
encore, ici, avec nous, il s’étonne, il s’insurge, je l’entends qui gronde. Il
est seul. Il est le seul. Il reste le plus vivant, le plus offensif des morts. Ouvert,
et le plus libre, le plus échancré dans l’ouvert. Il n’est pas lu, il est
présent.
On ne fait pas un pas sans croiser sa route.........
relever
sa trace, rencontrer son souffle, la violence de son souffle. Toute l’œuvre, et
chaque pan, chaque vers imprègnent les fragments du monde où nous
respirons. Ça coule et ça coupe, et ça vibre. Ça détruit grain par grain,
trait pour trait, le masque qu’on nous applique, le crépi de la bêtise, les
maillons de l’exégèse, et le mur de la prison.
Jacques Dupin, à la rencontre de Pierre
Reverdy et ses amis, Fondation Maeght, 1970, n.p.
[...] un poète dont l’œuvre montre avec évidence que la poésie lui était
quelque chose de l’ordre du pain quotidien ou de l’air qu’on respire (à tel
point incorporée qu’un rayonnement salubre émanait de toute sa personne jusque
dans ses moments les plus noirs), c’est ce qu’avait été Pierre Reverdy. S’il
n’a pas eu autant d’audience qu’il le
méritait, n’est-ce pas en raison de cette authenticité même, excluant de son
œuvre tout brio et l’amenant, dans
ses rapports avec le milieu des lettres, à se conduire volontiers comme un
paysan du Danube, voire comme un Iroquois. Mais le côté journellement vécu de
sa poésie où réalités du dehors et du dedans se répondent sans chatoiements de
vocabulaire ou de syntaxe, l’allure qu’elle revêt d’angle de vue sous lequel le
monde est une fois pour toutes appréhendé plutôt que celle de refonte qu’on
choisit de lui imposer, de glose dont il est le prétexte ou de réflexion sur ce
que sa marche nous fait subir a été une leçon pour maints poètes de la
génération qui l’a suivi et porte encore les fruits chez certains, qui
peut-être l’ignorent.
Michel Leiris, in Pierre Reverdy,
1889-1960, Hommage, sous la direction de Maurice Saillet, Mercure de
France, 1962, p. 130.
L’univers de Reverdy a pour modèles la limpidité hivernale, les merveilles du
givre, l’éblouissement des cascades, ou, par moindre bonheur, les voiles de la
pluie, la fuite des nuées, les lueurs des vitres.
Son ambition n’a pas été de bâtir dans ses vers le vaste et noble édifice dont
Claudel et Saint John Perse se sont faits les architectes successifs ; pas
plus que d’apprivoiser le dehors grâce à un chant savamment assourdi, comme
Supervielle. Le fond de l’expérience humaine de Reverdy semble avoir été
sombre, et peut-être s’est-il agi pour lui avant tout de rendre sa vie plus
respirable (« Et tout le poids de ce ciel gris est soulevé »). Le
poème est un état de la réalité non pas plus ferme, durable (comme d’autres le
pensent), mais au contraire plus précaire, plus hasardeux ; et plus
intense : « ce que le feu est au bois ».
Ne nous étonnons donc pas de trouver dans les livres de Reverdy le reflet de
cette merveilleuse et fragile limpidité entrevue comme le plus bonheur et,
par-dessus le grondement d’un désastre qui s’aggrave avec le temps.
Philippe Jaccottet, Une claire goutte de
temps, in L’entretien des Muses,
Gallimard, 1968, p. 58.
Le gant de crin, Le Livre de mon bord, En
vrac, Bloc-notes « 39-40 », livres que j’aime retrouver. À
chaque note, une partie se joue, plus ou moins longue. Variété des angles
d’attaque, des sujets, et en même temps se dégagent nettement à la longue ses
idées-forces.
Même si la formulation est le plus souvent générale, j’y sens d’abord une
réflexion du poète sur son propre travail. Notes vivantes, au fond plus proches
du journal que de la théorie ou de la critique. Une sorte de journal non
intime, un journal de travail. J’aime leur lucidité tranquille et leur style le
plus souvent rigide, presque cassant. Il ne cherche pas à persuader : il
affirme. Or, rien n’est plus sain que d’être amené, d’une main ferme mais sans
violence, à vérifier objectifs et moyens.
Antoine Émaz, Un phare, in Pour Reverdy, Le Temps qu’il fait, 1990,
p. 121.
Pierre Reverdy, 1889, Narbonne – 1960, Solesmes. Se fixe à Paris en 1910 et,
dès 1911, fréquente Max Jacob, Juan Gris, Picasso, Braque ; l’année
suivante, connaît Apollinaire, Matisse, Léger, Modigliani. Correcteur
d’imprimerie, il s’engage en 1914 et est réformé en 1916. Son premier livre, Poèmes en prose (1915), est illustré par
Juan Gris et Henri Laurens ; La
lucarne ovale, recueil de poèmes, paraît en 1916. En 1924, il réunit ses
recueils déjà publiés dans Les Épaves du
ciel. En 1926, touché par la foi, il se retire à Solesmes. Son dernier
livre, Liberté des mers, poèmes en
prose, paraît en mai 1960 un mois avant sa mort, avec des lithographies de
Braque.
Ses œuvres complètes ont fait l’objet d’une publication en 12 volumes, de 1967
à 1989, édités chez Flammarion sous la direction de Maurice Saillet, Stanislas
Fumet et Étienne-Alain Hubert :
Plupart du temps, poèmes (1915-1922).
Main d’œuvre, poèmes (1913-1949).
Flaques de verre.
Au soleil du plafond et autres poèmes.
La liberté des mers, Sable mouvant et
autres poèmes.
Le Voleur de Talan, roman.
La Peau de l’homme, roman populaire.
Risques et Périls, contes, 1915-1928.
Le gant de crin, notes.
Le Livre de mon bord, notes.
En vrac, notes.
Nord-Sud, Self-Defence et autres écrits
sur l’art.
Cette émotion appelée poésie, écrits
sur la poésie 1932-1960.
Note éternelle du présent, écrits sur
l’art, 1923-1960.
Sont également publiés :
dans la collection Poésie/Gallimard :
Plupart du temps.
Sources du vent, précédé de La Balle au bond.
Ferraille, Plein Verre, le Chant des
morts, Bois vert suivi de Pierres
blanches.
dans la collection Orphée, éditions La Différence :
Anthologie, préparée par C.-M. Cluny
et présentée par Gil Jouanard, 1989.
Principales études critiques :
Jean Rousselot et Michel Manoll, Pierre
Reverdy, collection Poètes d’Aujourd’hui, Pierre Seghers, 1951.
Hommage à Pierre Reverdy, Entretiens sur
les lettres et les arts, sous la direction de Luc Decaunes, Rodez,
Subervie, 1961.
Pierre Reverdy, 1889-1960, Hommage,
sous la direction de Maurice Saillet, Mercure de France, 1962.
À la rencontre de Pierre Reverdy et ses
amis, Fondation Maeght, 1970.
Gérard Bocholier, Pierre Reverdy, le Phare obscur,
Champ Vallon, 1984.
Pour Reverdy, textes présentés et
réunis par F. Chapon et Y. Peyré, Le Temps qu’il fait, 1990.
Lire Reverdy, études présentées par
Yvan Leclerc, Presses Universitaires de Lyon, 1990.
Reverdy aujourd’hui, textes
recueillis et présentés par Michel Collot et Jean-Claude Mathieu, Presse de
l’École Normale Supérieure, 1991.
Le
Gant de crin, Plon, 1927.
Je ne connais pas
d’exemple d’une œuvre qui ait inspiré moins de confiance à son auteur que la
mienne.
Aussi me gardé-je bien de la défendre.
J’accepte ici qu’elle peut n’être qu’un témoin d’impuissance.
(p. 26-27)
Le propre de l’image forte
est d’être issue du rapprochement spontané de deux réalités très distantes dont
l’esprit seul a saisi les rapports.
(p. 34)
Le poète est poussé à
créer par le besoin constant et obsédant de sonder le mystère de son être
intérieur, de connaître son pouvoir et sa force.
Il n’est que les gens de métier qui se satisfassent de quelque certitude sur
leurs facultés.
Mais en poésie les gens de métier sont les médiocres.
(p. 44)
Si les glaces de verre
sont flatteuses pour toi, supprime-les. Ne te regarde pas en dehors mais en
dedans, il y a là un sombre miroir sans complaisance.
(p. 105)
Le
Livre de mon bord, 1930-1936, Mercure de France, 1948.
Le style, ce ne doit pas être tellement l’homme qu’on l’a dit – car l’on se
complaît bien plus à sa personnalité qu’en ce qu’on écrit. On se désespère
d’écrire mal, et rien ne concorde entre ce que l’on sent et ce que l’on écrit.
On se relit, on retouche ce style répugnant, rien ne vient mieux. Je crois que
ce qui est vraiment l’homme c’est le plaisir ou le dégoût qu’il prend à
l’effort pour écrire mieux. C’est-à-dire qu’il n’y ait pas plus de vulgarité
dans le style que dans la pensée.
(p. 47-48)
L’homme ne se réalise que dans la connaissance. Les frontières de sa
connaissance sont les frontières de son être. Plus il connaît, plus il est
vaste et étendu, moins il connaît, plus il est étroit et restreint. Mais il y a
aussi le parti qu’il tire et l’usage qu’il fait de ces connaissances et qui le
font grand ou petit.
(p. 162)
Le style, bon ou mauvais, je parle de ce qui caractérise un écrivain, ce n’est
pas le premier jet, mais l’état où il laisse la chose écrite, celui auquel il
n’éprouve plus le besoin de rien changer. Et ce n’est pas la moindre révélation
du caractère que de ne jamais tenir pour définitive l’expression formelle de sa
pensée.
(p. 210)
Les
Épaves du ciel, Gallimard, 1924.
La
repasseuse
Autrefois ses mains faisaient
des taches roses sur le linge éclatant qu’elle repassait. Mais dans la boutique
où le poêle est trop rouge son sang s’est peu à peu évaporé. Elle devient de
plus en plus blanche et dans la vapeur qui monte on la distingue à peine au
milieu des vagues luisantes des dentelles.
Ses cheveux blonds forment dans
l’air des boucles de rayons et le fer continue sa route en soulevant du linge
des nuages – et autour de la table son âme qui résiste encore, son âme de
repasseuse court et plie le linge en fredonnant une chanson – sans que personne
y prenne garde.
(p. 22 ; Poèmes en prose, 1915)
Cœur à cœur
Enfin me voilà debout
Je suis passé par là
Quelqu’un passe aussi par là maintenant
Comme moi
Sans savoir où il va
Je tremblais
Au fond de la chambre le mur était noir
Et il tremblait aussi
Comment avais-je pu franchir le seuil de cette porte
On pourrait crier
Personne n’entend
On pourrait pleurer
Personne ne comprend
J’ai trouvé ton ombre dans l’obscurité
Elle était plus douce que toi-même
Autrefois
Elle était triste dans un coin
La mort t’a apporté cette tranquillité
Mais tu parles tu parles encore
Je voudrais te laisser
S’il venait seulement un peu d’air
Si le dehors nous permettait encore d’y voir clair
On étouffe
Le plafond pèse sur ma tête et me repousse
Où vais-je me mettre où partir
Je n’ai pas assez de place pour mourir
Où vont les pas qui s’éloignent de moi et que j’entends
Là-bas très loin
Nous sommes seuls mon ombre et moi
La nuit descend
(p. 86-87 ; La Lucarne ovale,
1916)
Temps couvert
Je suis au milieu d’un nuage
de
neige
ou de fumée
L’éclat du jour fait son tapage
la
fenêtre en battant
ouvre le mur du coin
la paupière assoupie
et
l’œil déjà baissé
Plus loin
sur le détour où aurait dû tomber
le grand vent qui passait
en
roulant l’atmosphère
la neige et la fumée
Quelques grains de soleil
et le
poids de la terre
à peine soulevée
(p. 211 ; Cravates de chanvre,
1922)
Main
d’œuvre, poèmes, 1913-1949, Mercure de France, 1949.
Lumière rousse
On accroche le ciel d’automne aux quatre coins
Un tambour résonne
Des pas dans le vent
Le regard qu’on donne
À chaque passant
Les flammes effilées à travers les barrières
Les maisons retournées
Tous les dos en prières
Et les jours perdus dans les aventures
le long des années
Il n’y a pas de temps
Mais de la poussière
ou l’eau du printemps
dans chaque clairière au regard ardent
Sous les flocons plus lourds
Sous le poids des nuages
Il reste encore un tour à faire sur la page
Un nom qui se traîne
Un cœur qui s’en va
Ce n’est pas la peine
De s’arrêter là
Personne
dans la marge
Plus rien sur le trottoir
Le ciel
est plein d’orages
Ma
tête sans espoir
(p. 113-114 ; Sources du vent,
1929)
Sans
respirer
La jambe à droite
L’ombre du mort
Le marbre
La table qui s’est inclinée
La nuit recouvre tout de son tapis troué
Le silence a de la peine à vaincre le bruit
Les mots faiblissent de partout
Et les lèvres frémissent
On ne sait pas pourquoi
Contre le mur des paroles qui glissent
Entre les doigts
Le vent
Le souffle
Et les soupirs
Partout entre les arbres tout ce qu’on voit courir
(p. 291 ; Pierres blanches,
1930)
Tête à tenir
Une large bouffée de flammes
Sur la frise en bas des forêts
Le brouillard échappé des larmes
Sous une écharpe de rosée
L’odeur rugueuse des cigares
Le feu caché des feuilles mortes
Rayons cassés qui tissent ton sourire
Le visage effacé sous son voile de peur
Il va il vient il se retire
Un rayon de miel dans la cire
Une larme amère à ton cœur
Amour reviens dans le silence
Le poids de la main sur ton front
Et toujours la mort entêtée
La mort vorace
(p. 412 ; Le Chant des morts,
1944-1948)
Rédigé par : betina | mardi 09 janvier 2007 à 19h19
Rédigé par : Florence Trocmé | vendredi 13 octobre 2006 à 19h38
Rédigé par : Cordesse | vendredi 13 octobre 2006 à 18h52