Michel Butor, déménagements : un colloque
Michel Butor, déménagements : tel est le titre de l’important colloque qui se tient
actuellement et jusqu’à samedi soir à la BNF, site François Mitterrand. Un
colloque sous la houlette de Mireille Calle-Gruber et fruit d’une collaboration
entre la Bibliothèque Nationale, l’université Sorbonne Nouvelle Paris III, les groupes
de recherche de Mireille Calle-Gruber et de Michel Collot. Un colloque qui se
tient en présence de Michel Butor et de « Marie-Jo » son épouse,
figure que l’on croise très souvent dans son œuvre.
Je ne pourrai assister à
l’ensemble du colloque et en rendre compte ici, mais j’ai pu suivre la matinée
d’ouverture déjà très riche. Je vais tenter de donner un petit aperçu de cette
richesse en revenant sur les trois interventions de Michel Deguy, Yehuda Lancry
et Mireille Calle-Gruber.
Le colloque a débuté par une lecture d’une lettre de Jean Starobinski à Michel
Butor, évocation d’une rencontre il y a cinquante ans, un soir de concert du
Quartetto Italiano à Genève. Il sera beaucoup question du professeur Butor dans
cette belle lettre où Jean Starobinski souligne la grande ressemblance qui
existe entre l’enseignement littéraire tel que l’a pratiqué Butor et sa
pratique du croisement des œuvres. Évocation aussi du « métier » de
Butor, de ses tenues d’artisan ou de monteur-ajusteur parlant de l’écriture
comme on parle métier. Au fond une sorte de portrait de Michel Butor en
professeur genevois alors que lui-même avait dressé son portrait en
« jeune singe ». De cette lettre je retiens aussi cette belle
formule : conjuguer l’acuité
mimétique et l’élan novateur et l’évocation des frontières et des voyages,
si importants dans l’œuvre et sur lesquels vont revenir aussi les autres
intervenants.
Plaque tournante
Puis Michel Deguy se livre à une
intervention assez ébouriffante, d’une densité extrême, émaillée de
formules-choc et de pointes d’humour, lui permettant de balayer toute l’œuvre
pourtant pléthorique de Michel Butor et d’en évoquer nombre d’ aspects. Lui
aussi insiste sur les salopettes de Michel Butor, avec leurs poches mesurées,
fabriquées avec du tissu de tous les pays du monde, mais où « l’essentiel c’est
le bouton ». En nacre, corne, bois d’olivier, céramique ou plastique vert.
Puis c’est le glissement vers un lointain souvenir, un portrait de groupe, qui
permet à Michel Deguy de s’interroger sur la notion de génération :
évocation d’une rencontre au café L’Espérance, autour de la fameuse collection
Le Chemin et où les « cheminots » avaient nom Michel Butor, Georges
Lambrichs, JMG Le Clézio, Jean Roudaut, Jacques Réda, Michel Deguy, Jean-Loup
Trassard. Ensuite Michel Deguy se livre à une comparaison féconde entre Picasso
et Butor, foisonnement du sens et somptuosité des matières. Évocation de tous
les genres pratiqués par Butor, romans, soties, poèmes, livrets, répertoires,
mobiles, réseaux, cours, à mettre en rapport avec toutes les techniques et
matières utilisées par Picasso. Il est question aussi de la stature morale,
faite de générosité, d’intensité dans la curiosité joyeuse, de l’engagement,
car même si sa maison s’appelle L’Écart, Michel Butor ne s’absente pas de
l’époque, il est non pas dans une tour d’ivoire mais plutôt dans une tour de
verre : portrait de l’artiste en citoyen du monde, dont l’’éxpérience
immense se transforme « médiatement » en œuvre d’art. Michel Deguy saisit
le fil du poème dans l’œuvre et démontre la fidélité de Michel Butor à la
poésie, poésie ininterrompue ou plutôt
« constamment interrompue et tenacement récidiviste ». Il s’arrête
longuement sur le poème Plaque Tournante
donné à l’artiste Bertrand Dorny (qui était présent dans la salle), en lisant
des extraits, évoquant la cadence du texte, ses listes, ses anaphores
litaniques, allant jusqu’à démontrer le caractère pédagogique de la poésie de
Butor, le poème Plaque Tournante
fonctionnant comme une toupie, invitant à monter à bord du manège, insistant
aussi sur le jeu permanent intérieur / extérieur, exotérisme / ésotérisme :
« on jure de s’arrêter, on sent
qu’on va continuer… Anvers et contre tout ». Michel Deguy termine sur une
interrogation sur certaines formes contemporaines de poésie qu’il oppose à
l’inventivité butorienne.
Idéologie
et politique chez Butor : échographie
Yehuda Lancry est ancien
ambassadeur d’Israël en France et aux Nations Unies. Il va s’attacher à sonder
l’archipel Butor et sa perpétuelle prolifération pour y détecter ce qu’il
appelle les « dérives », pour interroger la pratique des marges, des
frontière et du métissage dans l’œuvre. Il ausculte la méfiance de Butor pour
l’idéologie dominante et sa volonté essentielle, de transformer la société. Il
parle d’une première dérive, « vocationnelle », de la philosophie vers
la littérature, s’arrêtant un instant sur l’échec de M. Butor à l’agrégation de
philosophie et sur ce qui l’a précédé, un véritable écartèlement entre
philosophie et écriture. Les « deux demi-têtes de l’écrivain », celle
du philosophe et celle du poète tentant de trouver une conciliation dans le
roman. Puis seconde dérive, « païenne », avec le voyage en Égypte au
moment de la rédaction du premier roman Passage
de Milan, l’Égypte « seconde patrie, presque une seconde
naissance », lieu de dérive spatiale, historique culturelle, évoqué dans Le Génie du Lieu, l’Égypte pièce
maîtresse de l’opposition de M. Butor aux grands monothéismes, lieu du passage
de l’un au multiple, à la pluralité pour « l’ancien élève des Jésuites,
pourri de christianisme ». Mais Yehuda Lancry le montrera aussi, se
souvenant de ces mots « il y a un humus catholique dans tout ce que je
fais ». sans qu’il y ait anéantissement du dogme chrétien,
Y. Lancry s’arrête ensuite sur le
décentrement, en tant que conscience de la perte du centre ‘Rome s’est
écroulée, Byzance n’est plus », avec le premier voyage en Amérique du Nord
en 1960. Importance aussi de la notion de métissage qui déborde les genres, la
société. De la marge, puisque selon l’écrivain il n’y a pas de changement
possible de l’intérieur de l’institution qu’une telle tentative risquerait
plutôt de renforcer, pas non plus de l’extérieur mais plutôt dans la partie
médiane où se trouve le plus grand pouvoir de transformation. D’où l’importance
du dialogue avec les peintres, les photographes, les musiciens. Et une
excitante comparaison avec Moïse, sa mobilité, sa traversée des frontières et
des marges. S’arrêtant (ne pas oublier que Y. Lancry est un diplomate) sur les
frontières, il lit un magnifique poème de Butor Pluie sur les frontières : « ô pluie, efface pour nous
ces frontières, lave nos continents de ces zébrures doucereusement infligées
par le fouet diplomatique…. »
Du rapport de M. Butor avec la
politique, il montre la complexité, le partage entre la distance, l’écart et en
même temps l’engagement, y compris engagement précis comme lors de la signature
du Manifeste des 121, les tentatives dans l’écriture pour transformer
l’immédiat de l’actualité en durable. Yehuda Lancry termine significativement
son intervention par l’évocation du poème Au-delà
de l’horizon
Matisse et
le « mendiant hospitalier »
Cette belle matinée se terminera
dans la lumière de Matisse, grâce à Michel Butor bien sûr mais aussi grâce à
l’intervention fervente de Mireille Calle-Gruber. Qui va invoquer autant le
peintre que l’écrivain décrit cette fois en mendiant et hospitalier (en un seul
mot, dira-t-elle à un moment). Parlant du chant, -il faut peindre comme on chante,
disait Matisse-, partant de ce terme un peu oublié, peu appliqué en tous cas à
la poésie, usuellement, de cantique. Cantique
de Matisse, c’est le titre de ce nouveau livre de M. Butor dont on peut lire
des extraits sur son site (car l’écrivain, tout octogénaire qu’il soit a un
site Internet, où il publie beaucoup de textes !). M. Calle Gruber qui
rappelle que M. Butor ne pose pas les questions, qu’il les
« chemine », lui qui dit que la question est son élément, sa terre,
le fruit de l’arbre. Et l’importance de « l’attelage avec peintres,
photographes, etc. ». Constante dans toute l’œuvre de Butor, qui avance
d’expérience, « passe par l’épreuve du texte, forgé à l’enclume de l’autre
œuvre », répondant, co-répondant à l’autre œuvre, répondant d’un corps de métier
qui n’est pas le sien. Il ne parle pas de Matisse, il parle Matisse.
« Caméléonique, l’écrivain mendie toutes les couleurs de sa phrase auprès
de la peinture ». Car ici la leçon est celle qui vient de l’atelier,
atelier du peintre, atelier de l’écriture. A n’en pas douter une belle
introduction donnée ici par M. Calle-Gruber à d’autres interventions au cours
de ce colloque, qui vont tourner autour du rapport de Michel Butor avec la
musique, avec l’œuvre des peintres, Alechinsky, Bertrand Dorny, projections de
plusieurs films, et conclusion avec un concert butorien-beethovénien, puisque
Michel Butor donnera son texte Dialogue avec 33 variations de Ludwig van
Beethoven sur une valse de Diabelli en symbiose avec le pianiste Jean-François
Heisser (samedi soir, à 17h30, Grand Auditorium de la BNF, site François
Mitterrand à Paris).
©Poezibao
Michel Butor dans Poezibao (on peut y lire notamment
le premier Chant du Cantique de Matisse, extrait 10)
Note
bio-bibliographique,
extrait
1, Regards, regards, ouvrez
les yeux / tournez autour….
extrait
2, Trio, dans les
touffes de baiser, le palais des coquilles
extrait
3, Des échelles se
dressent entre échafaudages et démolitions
extrait
4, Exclamations renversées Une feuille qui vient d’atterrir / près de ma semelle
extrait
5,
Hamlet 2 Où me conduis-tu / parle
extrait 6,
Actualités Le journal quotidien / est comme
une fenêtre
extrait 7,
Catalogue des jarres 1. Pour conserver
les olives
extrait 8, FRANKLIN un couple de bobolinks….
extrait 9 (Seize Lustres), Certains d’entre nous réussissent / à s’en
aller au fil de l’eau
extrait
10, Dans les jardins / dans les écoles et premier Chant du Cantique de Matiss
annonce édition œuvres
complètes à La Différence, rencontre avec Michel Butor
à la librairie Compagnie (mars 06),
exposition
à la BNF (été 06), visite
de l’exposition à la BNF,
fiche
de lecture de Don Juan en Occitanie (avec Colette Deblé
Rédigé par : lheurebleue | samedi 21 octobre 2006 à 09h53